Itinéraire ocalexique

Annexe 1   "Dent de lait ouverte et méthode ocalexique" 
 (LE CHIRURGIEN DENTISTE DE FRANCE n°115 - 4 juin 1981
 
Annexe 2   "La molaire de Madame M..."
   (LE CHIRURGIEN DENTISTE DE FRANCE N°269 - 8 nov. 1984

Tous les Samedis après-midi lorsqu'il faisait beau je descendais de Ménilmontant au carrefour de l'Odéon par le bus de la ligne directe qui m'y amenait de chez moi. C'était un agréable voyage que je renouvelais volontiers en me laissant ballotter sur la plate-forme et qui me faisait traverser une bonne partie de la capitale. Je montais généralement vers la rue Monsieur-le-Prince, où se trouvait l'AG des étudiants en Art dentaire, par un petit bout de la rue de l'Ecole de Médecine et en tournant au coin de la vitrine de Maloine, à la recherche d'un copain inoccupé ou d'une fille si çà se trouvait. Il m'arrivait le plus souvent d'entrer dans la célèbre librairie médicale pour fouiller un peu dans les bouquins et examiner les nouveautés. C'est pourquoi désormais, toutes les fois de plus en plus rares où je me trouve à Paris alors que, mon diplôme en poche, j'ai depuis longtemps quitté l'endroit, je me dirige d'instinct vers ce point de chute qui était devenu par habitude le centre de mes loisirs préférés et de mes bons souvenirs universitaires.

Ce jour-là, presque sans y penser, j'entre chez Maloine.

L'œil du praticien n'est plus celui de l'étudiant contraint d'apprendre ce qu'on lui enseigne et de connaître ce qu'on lui demandera d'exposer en examen. Il est désormais à la recherche de textes originaux sur des questions précises et évite le général qu'il connaît bien comme le classique qu'il respecte tous les jours. C'est pourquoi je suis attiré par un petit livre intitulé "Thérapie Ocalexique" et proposé par le Dr. Pierre D. Bernard. J'ai entendu parler de Bernard lorsque j'étudiais l'ionophorèse. Je n'en sais guère plus à son sujet, encore moins des co-signataires du bouquin en question, Michel Colas et Pierre Morin. Je relève tout de même que Colas est chef de clinique à l'Ecole Dentaire de Paris, cette vieille Tour d'Auvergne dont je garde un assez mauvais souvenir. J'achète.

J'ai trouvé en exergue la note suivante: "Promoteur de l'Ionophorèse depuis ma thèse inaugurale; aujourd'hui exécuteur testamentaire, je présente son héritier." Voilà de quoi intriguer, à commencer par le style. Je n'irai pas à l'AG où je ne connais plus personne. Je m'installe à la terrasse du petit bistrot où j'avais mes habitudes à tel point que le barman me reconnaît à chaque fois et me salue d'un "bonjour docteur" systématique bien que je ne sois pas du tout docteur, comme tout dentiste qui se respecte à cette époque. Cela viendra quelques années plus tard et ceci est une autre histoire.

La préface n'est pas très alléchante mais étonnante. Je bois mon coup de blanc, excellent, dont l'endroit s'est fait une spécialité et je plonge dans les premières pages avec le sentiment croissant d'avoir mis la main sur un truc assez extraordinaire.

Sans vouloir exposer ce que contient ce petit ouvrage qu'il faut avoir lu dans sa forme première pour comprendre la démarche des auteurs, on peut dire, en résumant beaucoup que l'état présent des traitements endodontiques sur dents gangrenées préoccupe intensément ces novateurs. De plus et davantage, ils déplorent les résultats décevants qu'on peut en attendre et s'insurgent contre un classicisme obstinément enseigné qui serait responsable du peu de satisfaction qu'ils dénoncent . A les lire, il faut tout reprendre à zéro, abandonner l'endodontie de leur époque, créer sur des bases nouvelles une thérapeutique raisonnée qui, par surcroît, s'avère techniquement très abordable en simplifiant les gestes opératoires dans des proportions signifiantes. Il y a de quoi accrocher un praticien soucieux de perfectionnement permanent... si c'est vrai.



Les bonnes raisons de chercher autre chose

Pour commencer et comprendre il vaut mieux refaire le parcours qui amène une dent, en place dans son alvéole, à devenir le récipient d'une pulpe frappée de gangrène, avec toutes les conséquences que l'on suppose. Il va de soi que, s'adressant à des odontologistes, les auteurs ne reprennent pas dans le détail des notions qui sont la base élémentaire de leur science. C'est en lisant que ces notions reviennent en mémoire, de là où elles ont été implantées une fois pour toutes. Il n'est toutefois pas superflu de les épousseter un peu.

La séquence est connue, si elle n'est pas unique. On commence généralement par une carie. La carie progresse si elle n'est pas traitée et devient pénétrante par effraction de la cavité pulpaire. S'ensuit une souffrance de la pulpe qui peut être très aiguë, suivie d'une infection qui amènera la fonte purulente progressive des tissus pulpaires. La pulpe cadavérique se décompose comme tous les cadavres et produit les toxines auxquelles on peut s'attendre. Le ligament et les tissus osseux périphériques réagissent par un granulome assez souvent péri apical ou encore péri radiculaire, qui constitue la lésion de base de l'ostéite chronique circonscrite. Les choses peuvent en effet demeurer chroniques un certain temps mais elles se gâtent généralement assez vite en produisant l'habituel ostéophlegmon qui va fistuliser si tout se déroule selon la règle et ramener la chronicité relative, sous la menace de récidive. Si l'organisme se défend mal on peut assister à une infection sévère généralisée par diffusion . Le plus souvent le malade est traité bien avant selon sa soumission aux soins dentaires.

Il existe des variantes à ce déroulement. On voit des mortifications spontanées par rupture du paquet vasculo-nerveux apical après traumatisme. On en voit aussi sous des obturations peu étanches ou mal isolées ou sous certains composites, véritables agents de nécrose diffèrée. On voit des pulpites pas immédiatement aiguës qui s'attardent à l'état subaigu ou chronique. On voit des nécroses lentes et cliniquement inapparentes et presque toujours dans les canaux apparemment bien traités selon les méthodes classiques. On en voit aussi, incompréhensibles, sur des dents intactes . Toutes les variantes sont dans la nature et ce sont là les habituelles entraves au diagnostic immédiat, mais généralement le trinôme carie ou agression + pulpite aigue ou nécrose gangreneuse est respecté.

Pour un praticien la gangrène pulpaire est signée d'abord par une couleur mate ou grisâtre de la dent, par une indolence suspecte au fraisage, par une odeur infecte qui surgit lorsque on trépane la cavité pulpaire, par l'absence de tissu mou vital exquisément sensible dans la chambre pulpaire et les canaux radiculaires. Ce tableau idéal est rarement complet et on voit souvent des nécroses imparfaites avec survivances vitales en fond de canal . On ne voit généralement rien de suspect si ce n'est l'image radioclaire et arrondie à deux dimensions d'une réalité qui en posède trois .

Malgré ce résumé extrême des événements on se rend compte que les difficultés commencent pour le praticien conservateur lorsqu'il possède un diagnostic et doit choisir une thérapie si possible efficace, ce qui est la moindre des choses. Elle se réduit en gros à désinfecter complètement la dent malade en la vidant des tissus décomposés et infectés puis à l'obturer après traitement en espérant évidemment voir disparaître les signes radiologiques. C'est précisément ce que les auteurs de mon petit ouvrage dénoncent comme incertain voire illusoire dans l'état des traitements classiques de leur époque. Ils consolident leur méfiance réprobatrice par une série d'arguments qui laisse effectivement perplexes.

Il y a longtemps que j'ai quitté mon bistrot familier, que j'ai repris ma bagnole à la porte d'Italie et que je roule dans l'intention d'effacer bientôt le plus possible des six-cent kilomètres qui me séparent de mon cabinet. La routine autoroutière, bien qu'elle soit encore peu répandue chez nous à cette époque, est une bonne occasion de laisser les acquis tout chauds sortis de mon petit bouquin s'implanter dans mon esprit et y déclencher pas mal de réflexions. Je reconnais que les arguments de ces auteurs ont une certaine grâce qui tourne rapidement en certitudes. D'où un trouble manifeste.

Je compare cela à ce qui s'est passé lorsque ont été publiées les célèbres planches de Hess. Ce chercheur a eu l'idée originale de mettre en évidence la complexité de l'anatomie de l'endodonte en pratiquant un moulage interne grâce à un procédé inattendu à cet usage et pourtant d'une banalité quotidienne dans les laboratoires de prothèse. Il a trépané des dents extraites, en a largement ouvert la cavité camérale, vidé les canaux de ce qui restait de leur contenu pulpaire par un bain prolongé dans un solvant des tissus mous, les a séchées pour éliminer ce liquide résiduel, les a obturées autant que possible avec de la vulcanite ramollie à chaud. Ce procédé était alors extrêmement répandu en effet dans les ateliers de prothèse pour la fabrication des appareils amovibles bien avant l'usage des résines synthétiques. Je l'ai pratiqué moi-même dans ma jeunesse, ce qui me le rend très familier. La mise en moufle suivie de vulcanisation sous forte pression dans des vulcanisateurs spécialisés entraînait une diffusion de la vulcanite dans les moindres recoins des endodontes ainsi envahis d'une manière que l'on supposait exhaustive. C'est du moins ce qu'espérait Hess qui pratiquait ensuite des coupes axiales qui faisaient apparaître une complexité inquiétante du dessin de nombreux canaux insoupçonnables auparavant, les ramifications les plus inattendues, à tel point que la première conclusion était l'impossibilité de prévoir et de déceler la morphologie de l'endodonte, ni anatomiquement, ni surtout cliniquement. Imprimées et diffusées partout, les planches de Hess jetèrent une sorte de panique dans les esprits, jusqu'aux moins perfectionnistes de la profession. Quant aux autres, plus effrayés encore, ils se mirent à la recherche frénétique de méthodes de désinfection ou de momification capables de maintenir en place les résidus pulpaires qu'il était vain de songer à retirer de ces réseaux canalaires aussi complexes qu'impénétrables. D'où une série d'innovations accumulant les produits les plus étranges comme les plus agressifs, le formol en tête de liste et l'eugénol suivant de près, dont aucune n'apporta de solution convenable à un problème que l'on se résignait mal à traiter par le fatalisme.

L'œuvre de Hess n'était pourtant pas sans critiques. Il travaillait sur dents sèches, ce qui permettait de se demander si les tissus pulpaires résiduels raccornis et déshydratés étaient entièrement éliminés par le bain de solvant ou si, au contraire, il en restait dans les canaux les plus minuscules et les plus inaccessibles, constituant autant de bouchons empêchant la diffusion de la vulcanite. Par ailleurs, il publiait d'excellentes images de coupes, donc bidimensionnelles, qui ne rendaient pas compte de la réalité anatomique qui est évidemment à trois dimensions. On ne pouvait que l'imaginer. On essaya bien de mettre à nu le moulage en éliminant le tissu calcifié de la dent pleine de vulcanite par une banale décalcification à l'acide, auquel résistait le remplissage en cette varièté de caoutchouc. Il obtint des sortes de petits arbustes dont la souche était le moulage de la chambre pulpaire et les branches celui des canaux. Tout cela montrait à l'évidence ce qu'était, à quelques finesses près, la forme de ces endodontes ainsi révèlés. Cela ne permettait aucunement d'imaginer quelle était celle de la dent précise que l'on était en train de traiter in vivo dans la bouche d'un patient donné. Enfin, en attendant mieux, Hess ne se posa pas la question du débouché au niveau ligamentaire de ces multiples et minuscules canaux . On se doutait bien qu'il devait y en avoir une grande quantité puisque l'on observait sur les racines des dents extraites des formations granulomateuses un peu partout mais, là encore, ces observations post-opératoires n'entraînaient pas de révision des méthodes figées dans l'extirpation instrumentale aussi complète que possible d'une pulpe dont on se résignait à abandonner toutes les ramifications inatteignables sous bonne garde de produits d'obturation souhaités efficaces, sans la moindre garantie de pérennité. On avait compris pourquoi la plus soigneuse des endodonties classiques n'empêchait pas l'apparition de granulomes et de puanteurs suspectes à la désobturation éventuelle. On n'avait pas pour autant découvert le moyen de s'en protéger.

Les conséquences de cet état de fait débordèrent la cadre de la profession dentaire. Plusieurs catégories de médecins spécialistes, toujours prompts à tomber sur les dentistes dont ils ignoraient généralement jusqu'aux bases de leur spécialité, se mirent à vitupérer contre les soins conservateurs, les accusant de maintenir en bouche des foyers d'infection subtile et continue, une sorte d'instillation toxique au long cours, l'accusant d'être source de bactériémie permanente ou par décharges occasionnelles, préconisant l'édentation préventive de tous les futurs opérés cardio-vasculaires. Ils n'avaient pas tout à fait tort dans la juste mesure où aucun praticien ne pouvait garantir la stérilité des dents aux endodontes traités. Cette grande époque de l'édentation systématique fut celle de la fameuse et historique "focal infection" dont le nom dit assez d'où elle provenait.

Voilà que les auteurs de mon petit livre remettaient çà sur un ton d'autant plus critique qu'ils avançaient une méthode nouvelle, reprenant tout à zéro avec une force de conviction impressionnante. Cette façon de voir les choses d'un point de vue complètement extérieur aux routines scolaires et aux dogmes odontologiques de l'époque était le résultat d'un constat tout simple : Bernard était docteur en médecine, pensait en médecin et son intérêt pour un problème spécifiquement dentaire était suffisemment rare, voire unique, pour qu'il fasse figure de pionnier d'une révolution iconoclaste.



A la découverte de l'endodonte

Je me vois donc dans l'obligation de réviser rapidement ce que j'ai appris de l'endodontie et de le confronter aux affirmations de ce petit livre qui renverse les articles de foi et en construit de nouveaux avec les morceaux de ses victimes. L'endodontie étant la science de l'endodonte et des traitement qu'on y applique, mieux vaut redéfinir de quoi il s'agit.

Dans n'importe quel bon dictionnaire généraliste qui s'applique à représenter une dent au point d'en montrer une coupe, on verra que cette dent possède une sorte de canal axial fermé et renflé au niveau de la couronne, progressivement aminci vers l'extrémité de la racine où il se termine par un petit trou. Il va de soi que l'image est presque toujours celle d'une monoradiculée puisque les bi- ou triradiculées ne sont, embryologiquement parlant, que des mono- accolées. C'est sommaire, insuffisant et trompeur. Le "Dictionnaire des Termes Odonto-stomatologiques" ( Verchère et Budin - Masson 1981 ) que je consulte à mon retour à la maison est à peine plus explicite bien que plus mesuré. Il dit : "Endodonte n. m. Anat. Partie de l'organe dentaire principalement constitué par la chambre pulpaire et les canaux radiculaires sans préjuger, d'une part de la présence ou de l'absence du tissu conjonctif remplissant normalement cet espace, et d'autre part, du siège dentinaire des prolongements cytoplasmiques des odontoblastes". Merci pour la précision. Ceci veut dire en bon français que si un sac à patates est plein de patates il mérite son nom. S'il est vide il n'en reste pas moins un sac à patates. On croyait le savoir. D'autre part, les prolongements cytoplasmiques des odontoblastes situés en périphérie de la pulpe s'étendant en plein tissu dentinaire, sont peut-être bien de la pulpe mais pas sûr. On ne saurait préjuger. Voilà qui n'est pas trop satisfaisant pour quelqu'un ni ne préjuge rien du tout. Mon petit livre m'en apprendra peut-être davantage.

Je trouve en effet que "dans une étude... la conclusion de synthèse suivante avait été proposée : L'endodonte est représenté par les cavités naturelles de la dent (chambre pulpaire et canaux radiculaires) et leur contenu normal ou pathologique excluant implicitement de l'endodonte les tubulis et canalicules dentinaires..." On ne peut mieux dire que ce qu'on ne saurait atteindre à l'aide de l'instrumentation de l'époque ne saurait exister aux yeux et aux doigts du praticien. Je rouspète un peu en voyant des gens supposés connaître le latin, écrire tubuli avec un s.

Je trouve aussi que "cette limitation spatiale de l'endodonte avait été adoptée en raison de l'aspect technique de dentisterie opératoire suivant : on ne peut intervenir que sur les cavités macroscopiques, quant aux canalicules dentinaires imperméables aux pressions et même à l'ionophorèse, ils apparaissent comme devant être, pour cette simple raison, exclus de l'endodonte". Mon impression est donc vérifiée. C'est aussi ce que pense Solas qui affirme que "l'endodonte représente l'ensemble des cavités macroscopiques pulpo-coronaires et radiculaires et leurs prolongements microscopiques dentinaires : tubulis ou canalicules" . Vive Solas qui introduit ainsi l'endodontie dans le champ du microscopique !

Bien pensé et vite dit mais quid de l'opération dite pulpectomie ? Ne serait-elle qu'une pulpotomie profonde de convenance ? Quel est le sort de ce qu'on abandonne sous prétexte de minusculité, si j'ose ce néologisme. J'ajoute que la pulpec... tomie est l'ablation totale de la pulpe que la pulpo... tomie ne fait que couper en deux parties dont une est enlevée alors que l'autre reste en place en butte à tous les aléas pathologiques possibles. Exit donc la pulpec... pour quelques canalicules de trop ? Il n'y aura bientôt plus que la nomenclature de la Sécurité Sociale pour en parler. De plus et surtout, la méfiance pointilleuse des détracteurs des soins conservateurs serait-elle justifiées par le simple constat de leur finition approximative et donc coupable ?

Il est important de revenir aux réalités cliniques dévoilées par cette manière de voir jusqu'aux extrémités infiniment subtiles et d'envisager une thérapie qui colle aux nouvelles connaissances et aux nouvelles exigences qu'elles apportent. En attendant, ce qu'on affirme doit être vérifié. Dépasser les révélations de Hess parce qu'elles sont seulement macroscopiques et ses images bidimensionnelles, impose d'y ajouter quelques observations complémentaires.



Les glomérules ionophorétiques

Aussi détaillée et argumentée que soit l'introduction d'un nouveau concept scientifique il ne s'agit que d'une proposition intellectuelle tant qu'elle n'est pas étayée expérimentalement. J'ai plaisir à constater que cet impératif provient d'un autre Bernard !

Donc Bernard, l'endodontiste, veut vérifier in vitro la véritable structure de l'endodonte dans ses plus intimes ramifications. Etant donné qu'il est le père de l'ionophorèse appliquée à la dentisterie c'est vers le courant électrique ionophorétique qu'il se tourne naturellement. Il imagine et réalise une expérience révélatrice. Marmasse, dans son fameux traité de dentisterie opératoire qui fit date et, si j'ose dire, fit bible, en donne une description loyale bien que je n'aie jamais observé d'enthousiasme chez lui pour la méthode ocalexique. C'est à peu près ce qui ressort de son exposé :

"Expériences in vitro - Bernard a réalisé in vitro une série d'expériences très spectaculaires... Elles sont un remarquable enseignement de l'anatomie si atypique des foramina apicaux... Dans une cuve de verre on place un gel transparent contenant quelques gouttes de phttaléine de phénol. La dent fraîchement extraite est placée et immobilisée dans ce gel. Electrode négative dans la dent. Electrode positive en un point quelconque du gel. Solution de NaCl dans la dent au contact de l'électrode négative"... Dés le passage du courant... on voit apparaître un point rouge vif aux différents foramina de la dent... ces points rouges grossiront deviendront sphériques..." Ce que Marmasse dissimule ou oublie est que les glomérules en question apparaissent un peu partout sur la racine immergée car, bien sûr, la couronne n'est pas noyée dans le gel et dépasse la surface comme le fait dans sa gencive la dent in vivo, ou plus exactement in bucco . Il faut aussi comprendre que cette dent fraîche a été largement trépanée et que l'électrode est plantée dans la pulpe camérale, très récemment privée de vie et donc humide et conductrice, ce qui rend douteuse et même superflue la présence de NaCl . Ce qui compte surtout ici, c'est la révélation d'orifices non seulement apicaux, comme le murmure Marmasse, mais encore répartis en très grand nombre dans les endroits les plus inattendus comme le collet anatomique, la bi- ou la trifurcation, de longues chaînes pointillées ésumé, partout où on ne les attendait pas.

Cette expérience manque tout de même d'exhaustivité. Si les glomérules apparaissent aux orifices des canaux perméables au courant, on doit imaginer que bon nombre de ces canalicules n'aboutissent pas et sont borgnes. Ce sont, en quelque sorte, des impasses, des ramifications pulpaires avortées. Le glomérule ne se formera pas à un orifice qui n'existe pas et ces canaux, pourtant emplis de matière organique cadavèrique ne seront pas détectés, ni désinfectés, ni vidangés. Leur découverte et leur traitement demandera autre chose. Il en est certainement ainsi des fameux canalicules dentinaires contenant les prolongements cytoplasmiques...(air connu comme ci-dessus). D'un autre côté on voit que si le courant centrifuge aboutit parfois et forme un glomérule extrémement proche du collet corono-radiculaire, une invasion microbienne centripète peut suivre le même chemin et infecter une dent apparemment fort intacte, ce qui explique certaines nécroses a retro sur dents déchaussées.

La notion de canal radiculaire central, axial et unique, sans disparaître puisqu'elle saute aux yeux et à la radio, perd énormément de son importance. Elle est réduite à celle d'une antichambre, certes large et souvent profonde, mais seulement une sorte de chambre canalaire prolongeant la chambre pulpaire et à partir de laquelle commence le réseau microcanalaire intéressant et cliniquement primordial d'où tout dépend, à commencer par la mesure de l'efficacité thérapeutique et de la pérennité du résultat. Toutes les méthodes qui ne tiennent pas compte de cette réalité anatomique nouvellement démontrée sont rejetées au rang de vieilles lunes et autres ringardises.



Les conséquences immédiates

Elles sont nombreuses et de natures diverses.

En premier lieu le vocabulaire qui ne suit pas. On continue à parler de canal comme si toute l'endodontie se réduisait à çà. Par conséquent l'adjectif canalaire subsiste et résiste. On continue à juger complète une supposée pulpectomie réduite au canal alors que la proportion de matière pulpaire restée en place après cette amputation profonde est comprise entre 40 et 60% selon le cas. On continue à se fier à la radio pré- mais surtout postopératoire et passablement triomphante, tout en sachant qu'elle ne montre que le macroscopique, avec en plus les classiques insuffisances dues au grain des supports et à la stratification dimensionnelle, alors que l'important est l'endodonte cryptique dont les finesses lui échappent complètement. On continue à présenter comme endodontique une instrumentation pléthorique que rien ne justifie lorsqu'il s'agit seulement d'ouvrir un chemin qui, finalement, s'avérera bien assez pénétrable comme çà.

En second lieu, puisque l'endodonte est inaccessible parce que cryptique, revient en force la tentation de ne plus tenter en vain d'y mettre l'outil. La pulpotomie camérale n'est-elle pas préférable à une vaine tentative de pénétration ?

A part quelques réactions de moindre amplitude, donc assez négligeables, comme celle de tout nier en bloc des travaux de Bernard et de traiter de maniaques ses efforts de clarification qui dérangent. Bien des scientifiques, surtout les enseignants, réagissent ainsi lorsque des trublions ébranlent leurs certitudes et leurs chaires, d'autant plus que ces nouveautés émanent d'une école parallèle, à tous les sens du mot "école". Ces réactions de mauvaise humeur sont d'autant plus violentes que ceux qui les exposent, et en explosent, sont de langue américaine, ce qui suppose un sentiment de supériorité scientifique souvent indiscutable, parfois ridiculement exclusif.

La conséquence principale et la plus fertile en réalisations thérapeutiques sera la nécéssité évidente de trouver et codifier une thérapie adaptée au nouveau concept "endodonte total", à la nouvelle image d'une racine à l'aspect de passoire se terminant par un apex en pomme d'arrosoir conique et ceci au-delà de toute considération instrumentale. Ce sera la méthode ocalexique.



Le parage endodontique

Parage est un terme chirurgical qui désigne l'ensemble des manœuvres pour retirer d'une plaie tout ce qui est susceptible d'en empêcher la cicatrisation heureuse, à savoir les parties cruentées au point de se nécroser bientôt ou déjà, les corps étrangers, les éléments susceptibles d'avoir introduit des bactéries et autres indésirables, à commencer par ces bactéries elles-mêmes et toutes les entraves à la régénération tissulaire. Appliqué à la dent, ce concept de nettoyage exhaustif est bien précisé par l'expression de mon maître Palfer-Sollier lorsqu'il parlait d'enlevome. Il faut donc enlever, mais comment ?

Lorsque l'on a constaté la mort d'une pulpe on se trouve en présence d'un cadavre enfermé dans une structure calcifiée fraîchement trépanée. On doit donc éliminer ce cadavre jusqu'à la dernière cellule et par la même occasion tous les micro-organismes qui s'y trouvent. S'il y a en plus débordement granulomateux à l'apex ou ailleurs on doit au moins espérer que le parage supprimera l'alimentation toxinique de cette lésion en attendant que bonne nature la cicatrise. Nous sommes désormais au niveau moléculaire.

La bonne méthode pour supprimer un cadavre est encore celle de l'assassin du coin, à savoir le dissoudre. Les produits utilisables sont nombreux et les solvants de la matière organique cadavérique ne manquent pas. Ici on doit quand-même choisir ceux qui sont utilisables en bouche sans provoquer de brûlures intenses ou d'explosions notables et, expérience faite, ils ne sont pas légion. Pour ne pas m'égarer je me contente de me souvenir du fameux bioxyde de sodium qui eut son heure de gloire tout à fait justifiée si on se contente d'envisager le parage tout seul. Après le passage de cet excellent produit qui provoquait de spectaculaires micro-explosions comparables à celle d'une allumette au contact de l'humidité canalaire on se trouvait obligé de neutraliser tout çà par une série de mèches de teinture d'iode qui blanchissaient à vue d'œil jusqu'à épuisement de la soude ou du praticien. La question du remplissage des espaces ainsi libérés était une autre affaire et surtout une impossibilité technique absolue.

Donc, pour dissoudre, après bien des essais et quelques élucubrations, les chercheurs se sont mis d'accord sur la bonne vieille eau de Javel, soit l'hypochlorite de sodium en solution aqueuse à pas grand-chose ‰. L'avantage du produit est qu'il n'a besoin d'être neutralisé que d'une manière agréable aux yeux du praticien, la toute simple eau oxygénée qui mousse et donne alors l'impression de chasser les impuretés opiniâtres. Après quoi, le passage de plusieurs mèches absorbantes permet de prier ardemment qu'il n'en reste pas trop avant obturation canalaire de toute façon incomplète.

On voit bien que, si le parage endodontique est à la portée des praticiens assez patients pour le mener à bien avec quelques chances de succès, on ne peut pas savoir à quel stade d'une longue séquence arrêter de dissoudre en étant certain qu'il ne reste rien du cadavre pulpaire tellement ramifié. De plus, puisque il est bien connu que la qualité finale d'une œuvre est celle de sa partie la moins réussie, l'absence de certitude en matière d'élimination du solvant et d'obturation canalaire finale grève sérieusement l'ensemble. On a donc gravi une marche en généralisant le parage endodontique mais on reste un pied en l'air en attente des résultats de recherches complémentaires.



Vive la chaux

La chaux vive évidemment.

Elle a été le produit de choix pour le traitement des fosses communes et son âge d'or a été celui des grandes pestes. Ramené à des volumes infiniment plus réduits son emploi in dente pourrait être envisagé à condition de l'adapter aux conditions locales et aux impératifs d'un travail in vivo. C'est le commencement de la méthode ocalexique.

Tous les écoliers, de l'époque où on apprenait quelque chose à l'école, savent que si l'on verse de l'eau sur un morceau de chaux vive, on obtient de la chaux éteinte en une sorte de bouillonnement dit foisonnement dont la véhémence est proportionnelle à la brutalité de l'opération. Le moindre apprenti maçon en sait autant. La formule chimique de la chose est :

CaO + H2O = Ca (OH)2 + foisonnement

De cette formule agréablement simpliste va sortir le nom de la méthode: O pour oxyde, Cal pour calcium, Ex pour expansion, donc OCALEX et tous les dérivés que l'on imaginera.

Je retrouve avec plaisir ce bon ion OH qui était l'arme absolue de l'ionophorése précisément nommée "ionophorèse OH". Il apporte une heureuse certitude, celle que non seulement il y a destruction des matériaux organiques putrides, nécrosés et tout ce qu'on voudra de cadavériques, mais encore désinfection des cavités débarrassées de toutes ces saloperies aux jolis noms de ptomaïnes ou cadavérines. Je vois aussi que les micro-organisme, dont les fameux anaérobies, doivent passer un mauvais quart d'heure. Pour parfaire cette satisfaction il est agréable de voir que l'oxyde de calcium nous apporte en fin de réaction de l'hydroxyde de calcium, invité très fréquentable par les tissus vivants dentaires et péridentaires dont il est même un excellent agent régénérateur. Le programme est complet et il ne reste qu'à le mettre en œuvre, ce qui n'est pas de la rigolade.

Depuis un certain temps je me suis éloigné de mon petit livre de chez Maloine pour m'égarer dans des considérations anatomiques, opératoires ou venues de partout, sans compter les émanations de l'imagination en alerte. Je dois donc y revenir pour voir comment l'auteur s'est débrouillé pour maîtriser une réaction chimique apparemment explosive. Mais d'abord, qu'en est-il de cette explosion ?

Une explosion, c'est Boum ! Elle peut-être atténuée, étouffée, maîtrisée, tout ce qu'on voudra pour en atténuer les effets et l'aspect spectaculaire, mais alors comment la qualifier ? Puisque elle aura lieu en milieu fermé, soit "in dente", par opposition à "in vitro" et par ressemblance à "in vivo", pourquoi ne pas se contenter du terme expansion. A vrai dire, c'est bien ce qui se produit car on ne transforme pas le canal dentaire en obusier . Il n'est pas interdit pour autant d'atténuer cette réaction pour qu'elle prenne son temps et pour en conserver seulement le caractère expansif qui nous importe seul. Comment se débrouillent les auteurs avec cette exigence ? Après pas mal d'essais divers de produits variés dont l'énumération serait fastidieuse et dont la manipulation tourne parfois au bricolage alchimique, ils finissent par élire comme adjuvant freinateur un mélange de glycol, d'alcool et de traces d'eau qui se trouve là à titre d'amorce de la réaction. De plus, agissant cette fois sur l'oxyde en poudre, ils y incorporent un petit pourcentage d'oxyde de zinc, ce vieux complice des cabinets dentaires, au même titre que l'eugénol qui leur apporte ce fameux parfum de dentiste depuis des décennies qui pourraient bien former un bon siècle.

Me voici en possession d'un produit qui va se révéler d'une efficacité satisfaisante pour toute la gamme des séquences opératoires auparavant séparées, délicates et imparfaites en définitive. Le plus séduisant de l'affaire est bien qu'il réalise tout çà à la fois, en une seule et unique application et que, bien sûr, les résultats sont immédiatement excellents. Reste à apprendre à s'en servir, soit à apprivoiser un certain nombre de gestes considèrés jusqu'ici comme irresponsables et dangereux et surtout me défaire d'une quantité de préjugés scolastiques.

Je dois quand-même me rassurer et beaucoup d'autres avec moi. Les praticiens ont été tant prévenus depuis si longtemps contre toute espèce de projection dans les tissus péridentaires par dépassements, perforations, compressions et autres brutalités extracanalaires parfois spectaculaires, susceptibles d'entraîner toutes sortes d'ensemencements septiques générateurs de catastrophes infectieuses, que l'idée d'expansion leur est odieuse. Il faut donc bien préciser que, en l'occurrence, rien n'est propulsé mais bien expansé par aspiration physico-chimique dans l'aire canalaire cryptique. Si le produit va au-delà de l'orifice du canal ce sera seulement lorsqu'il y est invité par une lésion granulomateuse. Il y aurait plutôt substitution moléculaire. Il n'est toutefois pas facile de se représenter le phénomène et Bernard lui-même joue de la métaphore.



Comment çà ne marche pas

Avant toute chose et dans toutes les activités imaginables, la première précaution élémentaire consiste à bien examiner ce qu'il ne faut pas faire. En l'occurrence, puisqu'il s'agit de jeter aux orties un certain nombre de principes dénoncés comme générateurs d'échecs depuis qu'existe une endodontie à prétentions conservatrices, je dois mettre au pilori ce qui doit être évité dans cette liste de condamnés. L'énumération est réjouissante.

Bernard prévient fermement que sa méthode n'impose que peu de manœuvres particulières mais que, par contre, elle en interdit une bonne quantité. Le résultat est une apparence de facilité opératoire assez trompeuse car le respect du peu d'impératifs qui résistent à l'épuration est par contre indispensable. Je trouve une courte liste de ces prohibitions dans une conférence donnée par Bernard à Clermont-Ferrand. J'en suis d'autant plus reconnaissant que, quelques années plus tard, je prenais sa place à la tribune du même congrès pour y traiter de l'anesthésie générale en pratique dentaire. L'énumération de Bernard est la suivante et je la commente quelque peu.

"Interdiction de franchir avec des instruments le foramen apical afin d'éviter un traumatisme et un refoulement apical et surtout pour permettre une meilleure expansion dans les ramifications canalaires." Il est bien certain que perforer est dangereux lorsqu'on travaille en milieu éminemment septique. Qui aurait l'idée d'aller essaimer de la sorte ? On se rend compte aussi qu'en restant assez en retrait de la région apicale on n'empêche nullement le produit expansé de s'y précipiter. On observe, comme on s'en rendra compte un peu plus loin, que plus les canaux sont fins plus ils sont envahis préférentiellement.

"Interdiction d'assécher et de déshydrater par de l'air chaud, afin de ne pas priver les parois canalaires de l'eau qui est indispensable au phénomène ocalexique." On s'en doutait depuis la formulation de la réaction de base mais, étant donné le matraquage pédagogique qu'ont subi les étudiants et les praticiens d'avant l'ocalex, qui leur a injecté en force l'idée que le canal doit être parfaitement sec avant toute mise en place de quoi que ce soit et surtout de toute obturation, il est bon de préciser qu'ici il n'en est rien. Le fait que cet assèchement préconisé ne soit que théorique et impossible à parfaire dans la pratique, malgré les affirmations fébriles des auteurs classiques, n'empêche personne d'en être obsédé. Quel soulagement alors d'en être désormais délivré. Je mettrai seulement une légère sourdine à cet enthousiasme hydrique : humidité n'est pas immersion et essuyer quelque peu n'est pas déshydrater.

"Interdiction d'utiliser des antiseptiques, d'abord parce qu'ils sont inutiles, mais surtout parce qu'ils sont toxiques et fixateurs des substances organiques en état d'infection et s'opposent à leur destruction ocalexique". Qui aurait la tentation saugrenue d'ajouter quoi que ce soit à un produit largement assez antiseptique comme çà ? On a bien compris que pour obtenir la lyse d'une substance il vaut mieux commencer par ne pas s'y opposer.

"Interdiction de préparer la pâte ocalexique selon les principes classiques..." Indication moins intéressante qui n'est qu'un détail de recette, important certes, mais qui n'ajoute rien au principe de la méthode.

Je me vois obligé d'ajouter à ces avertissements impérieux la note agréable que constitue l'évidence d'avoir à alléger l'outillage opératoire d'une bonne quantité d'instruments inutiles comme broches, limes, râpes, alésoirs de tous poils, les manuels comme les rotatifs et autres fouloirs divers et superflus. Avec un tire-nerf pour enlever le plus gros de la pulpe restante décomposée, si elle existe, et un bourre-pâte de Lentulo, l'affaire est faite. C'est tellement simplifié que l'on craint de verser dans le sommaire. Par contre il n'est pas interdit de se servir de ces tire-nerfs montés sur contre-angle à rotation lente alternative limitée au quart de tour qui apportent une notable facilité de "gratouillage" canalaire et feront de parfaits agitateurs lorsque s'introduira bientôt la précaution du parage alcalin préalable.

Je mentionne ici deux instruments fondamentaux de l'endodontie classique, fort décriés ailleurs malgré leur pérennité et que le snobisme opératoire n'a pas empêché de se retrouver aux premières loges d'une méthode aussi révolutionnaire que l'ocalex.



Illustration et défense du tire-nerf

Le tire-nerf porte un nom horrible et principalement faux. Il en a hérité dès l'époque historique où on s'est cru autorisé à retirer la pulpe des dents malades de pulpites, ces fameuses rages de dent qui entraînaient auparavant l'extraction indiscutable. Cette pulpe est un ensemble tissulaire, dit parenchyme, vascularisé par un réseau artériel, veineux et lymphatique, et innervé par une branche dentaire du nerf maxillaire correspondant au lieu d'implantation de la dent considérée. Etant donné que c'est la douleur qui domine largement le tableau clinique d'une affection pulpaire, le bon sens populaire s'est concentré sur ce fameux nerf qui est devenu la référence du tissu pulpaire à supprimer, au point d'occulter tout le reste du complexe tissulaire endodontique. Voici un enlevome de plus. Ainsi le nom de tire-nerf a été donné à une petite sonde métallique barbelée rétentrice munie d'un manche torsadé, pour la bonne prise aux doigts. Il est resté en vigueur malgré l'impropriété manifeste de l'expression "enlever le nerf" . Chez moi, lorsque l'extraction d'une pulpe canalaire vitale entière réussit, comme le plus souvent, je ne manque jamais de l'exposer aux yeux du patient, à contre-jour dans le faisceau de ma lampe opératoire. L'effet, accompagné d'un bref "voilà votre nerf qui est parti..." est régulièrement lénifiant !

Le maniement du tire-nerf n'est pas aussi facile qu'un usage systématique pourrait le faire croire. Un mouvement de pénétration en rotation mesurée, suivie d'une minuscule traction, suivie elle-même d'une rotation plus lente, plus large et extractive, constitue un geste opératoire essentiel difficile à décrire mais dont l'apprentissage est déterminant dans la pratique. La notion de talent n'est pas absente de la mesure qualitative de la valeur d'un praticien.

Par la suite, parallèlement aux efforts toujours iconoclastes de nombreux novateurs surtout attachés à aléser, amplifier jusqu'au ridicule le diamètre des canaux qu'ils prétendaient dépulper plus complètement, d'autres instruments, véritables rabots à action interne, détrônèrent le vieux tire-nerf. Ils se multiplièrent, certains se mécanisèrent, devinrent parfois rotatifs et ne firent rien d'autre que produire toujours plus de résidus impossibles à éliminer sans ajouter des bains chimiques de toutes provenances, bases, acides, antiseptiques divers, pour obtenir de larges canaux là où le plus souvent il n'y en avait pas ou pas d'aussi excessifs et nul besoin d'en créer. Les radios d'une réalité fabriquée et forcément artificielle n'en furent que plus spectaculaires et de moins en moins probantes.

La méthode ocalexique remet les choses à leur place et ce retour au bon sens permet d'observer que le canal peut être suffisamment pénétré quelles que soient son étroitesse, sa brièveté et sa forme contournée, sans acharnement instrumental ni monstruosité iconographique. Elle montre aussi que presque pas de canal du tout n'empêche aucunement la pénétration exhaustive. Exit la belle radio post-opératoire.

Le tire-nerf fait ce qu'il peut sans forcer, dans son strict domaine macroscopique. L'oxyde de calcium fait le reste par son expansion lytique imperturbable et agit dans le microscopique avec une efficacité qui dépasse infiniment, c'est le mot, toutes les exagérations instrumentales mécaniques. La racine conserve son intégrité interne, sa résistance mécanique originelle, le canal sa morphologie et le praticien sa sérénité. 



Le bourre-pâte de Lentulo et son domaine

Ce remarquable instrument à la limite du génial, inventé par Lentulo, est une vis d'Archimède, soit une spirale métallique souple légèrement conique pour s'adapter à la forme théorique d'un canal déshabité. Il est destiné au transport des pâtes à obturer le canal radiculaire mais il ne bourre rien du tout et ne fait qu'abandonner in situ ce qu'il a apporté. S'il est employé correctement dans les limites ainsi décrites, il est indispensable à cette fonction. Il ne faut jamais l'enfoncer en rotation car il coince et casse parfois, mais l'introduire immobile et ne mettre en rotation lente que pour accompagner le mouvement de retrait. A la rigueur un léger va-et-vient de pompage peut aider le praticien à croire que l'obturation est complète et étanche. Ce n'est évidemment pas vrai puisque l'on sait qu'un certain degré d'humidité irrémédiable des parois canalaires l'interdit malgré les mèches hydrophiles diverses et globalement insuffisantes.

On a évidemment essayé de supprimer cette insuffisance. Certains ont imaginé d'introduire dans la masse de pâte canalaire quelque coin pour la forcer latéralement contre les parois. On y a vu des cônes de gutta-percha, des cônes d'argent, des cônes de plastique, toutes choses qui ont surtout servi à imiter par radio-opacité une obturation insuffisante, mais qui n'ont pas éliminé le film humide pariétal et surtout préapical. Leur emploi n'est pas stupide, on le verra, mais pour une toute autre raison.

Il va de soi que le lentulo, lorsqu'il est employé pour véhiculer la pâte ocalexique la déposera au mieux et sans perfectionnisme particulier puisque l'expansion fera amplement le reste. De plus, et surtout, l'humidité des parois suintantes, qui jusque alors était un handicap, devient un collaborateur apprécié autant qu'indispensable à la réalisation d'une obturation parfaite et qui va diffuser bien au-delà dans l'ensemble de l'endodonte cryptique. Une difficulté insurmontable est devenue alliée par un procédé qui la supprime en l'apprivoisant. Ceci est aussi et surtout vrai dans le cas de traiement ocalexique des dents vitales comme on le verra par la suite de ce récit.

L'affaire se résume en une phrase : si vous ne pouvez pas obtenir le sec, arrangez vous pour apprivoiser l'humide.



L'expansion et ses limites

Il est si souvent question de cette fameuse expansion au cours des chapitres précédents qu'une étude sérieuse s'impose pour en finir avec les questions qu'elle pose et les craintes qu'elle pourrait susciter.

Pour la mettre en évidence, Bernard travaille in vitro.

Dans un tube à essai on introduit au fond une certaine quantité de pâte composée d'OCa et d'alcool. Cette pâte est donc anhydre. Par-dessus on fait couler lentement une quantité d'eau environ trois fois plus importante en volume que celle de la pâte. On attend douze heures. On constate alors que le niveau de la pâte est monté dans le tube d'à peu prés une fois ce qu'il était au départ. Le volume de pâte a donc doublé. Après douze heures de plus le niveau indique que le volume de pâte a encore augmenté. Après vingt-quatre heures nous en sommes à deux fois et demie le volume de départ. Ensuite on plafonne. Comme pendant tout ce temps le niveau de l'eau n'a pas bougé d'un poil on peut conclure à une expansion indiscutable. Si l'expérience est recommencée non plus à température ambiante mais à trente-sept degrés, soit celle du corps humain pas trop malade, le délai d'expansion maximale passe d'une journée entière à seulement une demi-heure.

Nous avons sous les yeux et in vitro ce qui se passe "in dente". Mais s'il y a bien une dent artificielle réduite à un tube de verre, il y a aussi un ennui, à savoir que cette expansion est limitée théoriquement à un coefficient 2,5 ou à peu près. En pratique et compte tenu des divers aléas inhérents à ce qu'on nomme pudiquement conditions d'expérience, c'est-à-dire aussi les facteurs humains, le coefficient d'expansion arrive au mieux à se hisser vers 1,8. Ce n'est pas très encourageant pour un praticien qui extrapole qu'en bouche, si la température est satisfaisante, l'expansion ainsi limitée de la petite quantité de pâte contenue dans un canal dentaire pas toujours assez volumineux pour en supporter davantage ne va pas garantir une pénétration au sein d'une masse dentinaire et microcanalaire bien supérieure. Heureusement la solution apparaît lorsque l'on soumet le tube à essais à des secousses, vibrations diverses infra- ou ultrasoniques, sans compter les soniques venues des voix et diverses musiques qui font vibrer tout un chacun jusqu'au tréfonds des laboratoires. Il n'est pas indispensable d'y jouer du trombone. Dans ces conditions l'expansion reprend force et vigueur et atteint ou dépasse légèrement les 2,5 théoriques. On peut parler de 3 ce qui est cliniquement suffisant puisque le pourcentage de l'endodonte cryptique est donné entre 40 et 60% en volume. Il n'est d'ailleurs pas interdit de remettre çà en cas d'insuffisance. 

Je me souviens à ce propos d'une "burrada", publiée dans une revue sud-américaine, en cet espagnol que je balbutie, suite à plusieurs périodes de vacances catalanes à l'époque où le castillan était la langue officielle de l'endroit. Des chercheurs sceptiques avaient recommencé l'expérience de Bernard comme ci-dessus. Pour fixer les tubes à essai sur une base stable afin d'en faciliter l'observation et mesurer aisément la hauteur de la colonne de pâte en expansion, ils avaient introduit la base de chaque tube dans une sorte de petit socle en caoutchouc assez souple pour ne rien forcer. L'expansion qu'ils obtinrent fut minuscule dans ces tubes montés sur d'excellents amortisseurs. Ils en conclurent que la méthode ocalexique ne valait rien et que décidément, ces Français... Une erreur aussi grossière, qui aurait pu être facilement évitée en lisant honnêtement le compte-rendu de Bernard, permet de penser que l'homéostasie des milieux odontologiques étrangers a poussé ces détracteurs à démolir la méthode ocalexique avant même de l'expérimenter. L'épistémologie regorge d'exemples de divergences semblables inspirées par une évidente immunologie scientifique congénitale.

L'inquiètude à propos du refoulement éventuel de matières indésirables dans le périodonte est passablement atténuée par le constat de l'immuabilité du niveau de l'eau dans le tube. La pâte subit une expansion par pompage qui ne suppose aucune pression, au contraire. C'est par aspiration qu'elle progresse. Mieux, "in dente" nous imaginons que les liquides nécéssaires sont fournis également par les régions périphériques à l'organe dentaire et qu'au lieu d'une pression de refoulement nous observons une aspiration. C'est ce qui explique l'expansion au cœur des granulomes.

Comprendre l'expansion est une chose. La constater et la mesurer "in dente" en est une autre. C'est là qu'intervient la solution de marquage de l'expansion afin qu'elle soit vue ou si l'on veut, de visu.

 Illustation de l'expansion "in dente"

La première idée qui vient à l'esprit est de marquer le produit d'une manière ou d'une autre afin de le suivre pour ainsi dire à la trace au cours de son itinéraire spéléologique endodontique. Encore faut-il que le colorant adjoint à la pâte ocalexique soit réellement transporté et non pas livré aux aléas d'un entraînement partiel ou hasardeux qui ne donnerait que des résultats inconstants inexploitables. D'autre part, si ce colorant est dentinophile, s'il pénètre les tissus calcifiés sans y avoir été amené par la pâte elle-même et elle seule, sa présence ou son absence en un lieu ou un autre ne signifiera plus rien eu égard à la pénétration effective. On doit donc utiliser un colorant chimiquement accroché au produit expansif qui ne se décrochera pas pour divaguer et suivra l'expansion avec fidélité. Sans passer en revue les candidats possibles et successivement rejetés je constate que la phénolphtaléine a été choisie mais dans les conditions stictes de l'expérience dite rubigraphie ocalexique. Il est important de constater que cette expérience est en quelque sorte inversée puisque ce n'est pas la pâte qui transporte le colorant mais bien le colorant qui attend la pâte à la sortie et poursuit en la pénétrant par action centripète.

"L'alcool est un excellent solvant et véhicule de la phénophtaléine" rappelle Bernard. Voilà la raison de son choix. On ajoutera que, lorsqu'il s'agit de révéler la présence d'ions OH, la phénolphtaléine fournit un témoin rouge, plus ou moins durable, mais suffisamment pour permettre une observation par examen externe, coupes axiales ou para-axiales multiples, transillumination et photographies de toutes ces présentations qui fixent les résultats qu'on archive. On plonge donc les dents imprégnées complètement de la préparation ocalexique dans un bain de solution alcoolique de phénolphtaléine. Il suffit d'attendre assez longtemps pour voir apparaître ce qu'on attendait, du rouge presque partout et en tous cas partout où OH est présent. Comme pour les glomérules ionophorétiques on est immédiatement surpris par la quasi omniprésence du témoin dans une quantité d'endroits où on ne l'attendait guère par excès probable de modestie opératoire.

Les rubigraphies ocalexiques présentées par Bernard sous forme de planches qui rappellent de loin celles de Hess sont réellement ahurissantes et, à part quelques images fort significatives quant à l'état d'hypercalcification de la dentine de certains échantillons, on peut dire que partout où il y avait la moindre possibilité d'imprégnation ocalexique on trouve le témoin rouge. L'intensité du rouge est proportionnelle à la décalcification dentinaire ainsi révélée. Faut-il ajouter que partout où on décèle, à l'aide des amplificateurs optiques habituels, le moindre canal aussi fin soit-il, la moindre fissure imperceptible, le plus minuscule tubulus dentinaire, le rouge est mis ? Les canaux perceptibles et le canal principal sont évidemment comme bourrés de rouge intense. Les coupes longitudinales ou transversales et les transilluminations sont la transposition en 3D de ce que l'on constate de l'extérieur.

La preuve est faite de l'expansion exhaustive. Elle est mesurable par l'intensité de la couleur. Elle est situable par l'examen des pièces exposées. Il va me falloir revenir à mon petit livre pour aborder avec son aide une question d'importance elle aussi, celle de ce qui se passe une fois que la dent imprégnée est mise en observation et qu'on attend le résultat de l'intervention avant de crier victoire, ce qui n'est pas qu'une question de confiance.



Les mystères de la chimie "in dente"

Je me pose des questions qui feraient bien rigoler le moindre chimiste et éclater un biochimiste mais, comme je ne suis ni l'un ni l'autre, je préfère les résoudre par moi-même si c'est possible.

Je sais que l'oxyde de calcium se transforme en hydroxyde de calcium au contact de l'eau intracanalaire qui ne manque pas. C'est pour ainsi dire le moteur de la méthode. On peut, à la rigueur, envisager d'humidifier un canal qui se montrerait trop sec avant application, histoire de déclencher l'affaire. Je me demande quand-même ce que devient cet hydroxyde après usage, si j'ose dire, et quel est son action sur les tissus vivants qui, quelle que soit la décrépitude mortelle de la dent, finiront bien par se manifester quelque part tant que le patient lui-même n'est pas mort. Qu'en dit-on en milieux autorisés ?

Nous avons, lorsque la chaux vive se mue en chaux éteinte, apparition de l'ion OH à l'état naissant, ce qui, dans toutes les chimies du monde, est la manière pour un ion d'être le plus actif. Il provoque la lyse totale des tissus nécrosés, des déchets organiques en tous genres, et bien sûr des micro-organismes. Tout ce magma est transformé en eau, en gaz carbonique CO2, et en diverses substances non toxiques qui vont disparaître, de leur belle lyse, puisqu'ils sont déjà morts, pour qu'on n'en parle plus. Reste l'hydroxyde résultant et comment se comporte-t-il ?

Lorsqu'il rencontre un tissu vivant, l'hydroxyde de calcium est fort aimable. On peut lui reconnaître sans réticence la qualité de biophile. Il se comporte en conservateur de la vitalité. Il encourage la cicatrisation des lésions. C'est cette qualité qui lui permet de jouer parfois le rôle de vedette dans l'opération de coiffage des pulpes vivantes exposées et de les cicatriser sans nuire à leur vitalité. On assiste donc à une double action d'éboueur et de restaurateur. C'est tout à fait ce qu'on demande ici. Cette restauration est la cicatrisation périodontique et donc du périapex. La cause est entendue, l'objectif atteint. Mais encore, qu'arrivera-t-il ensuite ? Car enfin le produit reste en place et ne quittera plus jamais l'endodonte qu'il vient de traiter si complètement et si magistralement.

Une première approche est celle du spéléologue. En présence de gaz carbonique l'hydroxyde de calcium se transforme en carbonate de calcium, le composant bien connu des stalactites qui tombent, des stalagmites qui montent et des diverses draperies qui ornent les grottes. Encore faut-il pour çà du gaz carbonique. Nous en avons obtenu déjà lors de la lyse organique et on en trouvera aussi dans les humeurs dont nous sommes faits. C'est donc une véritable carbonatation qui se produit. Le fait que ce carbonate se dépose là où il est produit par les dépôts de matière organique collés aux parois des canaux lui mérite le beau nom de "carbonatation pariétale". Il y aura donc une véritables obturation de la lumière des canaux, jusqu'aux plus infimes, canalicules dentinaires compris. La dent se trouve calcifiée en bloc. On peut imaginer, pour les amateurs de formules percutantes, une notion spectaculaire : "soignez vos dents avec du calcaire". Pour les collectionneurs de formules plus scientifiques on peut dire :

Ca(OH)2 + CO2 = CO3Ca + H2O

Il vaut mieux quand-même affiner le résultat. La carbonatation est qualifiée de pariétale, ce qui veut dire qu'on la trouvera totale dans les canaux de très petit diamètre où la distance est minuscule d'un bord à l'autre. Le canal principal étant plus large, d'autant plus qu'il aura été bricolé avant obturation par quelque amateur d'ampliation ou autre euphémisme pour parler d'alésage intempestif, ce ne sont que ses parois qui seront carbonatées. On aura donc un manque dans l'axe du canal. La région apicale sera épargnée par cette vacuité car elle est toujours assez ramifiée pour être obturée comme un bouquet de canaux fins. La présence de cette vacuole axiale pose celle de son remplissage éventuel mais ceci est une autre question.

Un autre spectre surgit, celui de la dent trop propre. La paradoxe semble énorme tant a été intense chez les classiques l'obsession de désinfecter à tous prix et leur joie d'obtenir un nettoyage efficace en apparence. Pourtant, si l'on considère que la présence de matière organique putréfiée est indispensable à la production de CO2 pour former le carbonate obturateur, on aura tendance à regretter son absence dans certaines dents soumises à un parage excessif. Il convient toutefois d'être mesuré. Un parage à l'hypochlorite de sodium pas trop poussé n'enlèvera pas tout et l'expansion trouvera bien de quoi s'employer. Ici comme ailleurs mieux vaut résister au perfectionnisme et garder quelque nourriture organique au fin fond de canaux ignorés. Le résultat n'en sera que meilleur même si, au début, un opérateur tremblera de devoir enfermer un peu de pourriture sous une obturation canalaire.

Lorsque le voyage intra-dentaire de l'hydroxyde se termine il aboutit à la frontière dentino-cémentaire. Le cément étant un "tissu conjonctif minéralisé revêtant la partie radiculaire de la dent" on voit immédiatement que les réactions chimiques vont se poursuivre à son niveau si les conditions observées plus avant se retrouvent ici. En cas de présence de cément mortifié et déminèralisé on verra agir la trilogie lyse+expansion+carbonatation, réduite toutefois aux zones lésées. S'il n' y en a pas, le cément sain au contact de l'hydroxyde bienfaisant va s'euphoriser, participant à l'obturation des multiples foramina. Cette collaboration fera pénètrer le cément dans les canaux qui débouchent à son niveau et l'inciteront à les combler jusqu'à mériter l'appellation "cémentation centripète".

Pour terminer cette revue des événements chimico-physiques qui se déroulent "in dente" lorsque est mise en route la méthode ocalexique il me reste à envisager la question des espaces larges évoqués plus haut. Tout semble terminé, la dent obturée et guérie, la radio de contrôle satisfaisante et toute trace de lésion osseuse disparue mais il reste cette vacuité axiale qui ne satisfait ni l'œil ni l'esprit. Certes on peut se dire que la carbonatation pariétale étant parfaite la dent se comporte comme une sorte de petite amphore calcifiée étanche et que rien de ce qui se passe à l'intérieur ne saurait inquiéter. Mais, dans le cas où la carbonatation présenterait quelque défaut, quelque fissure, quelque incomplétude de surface, ne pourrait-on assister à une invasion de l'espace large par les liquides organiques divers dont on sait la profusion lorsque on s'en passerait volontiers. Cette inondation "a retro" ne serait-elle pas un réservoir soumis au phénomène bien connu de la percolation qui a été invoquée dans la pathogénèse des kystes apicaux ?

Je ne crois pas me tromper beaucoup en attribuant au même Lentulo, la paternité de la découverte de la percolation intradentaire. Il se peut même que l'article inaugural de la chose soit inclus dans le premier numéro des luxueuses Actualités Odonto-Stomatologiques. Ceci pour permettre aux archivistes aventuriers de retrouver un texte fort convaincant. En résumé, il s'agit d'admettre qu'un liquide enfermé dans un récipient scellé, ne pourra se dilater, pour cause de chaleur ou de dépression externe, qu'en fuyant par un orifice à la manière d'une soupape de sécurité. Ainsi se formeraient des lésions primitivement liquides, infectées ou pas selon l'état du liquide fautif, fistulisées à l'occasion et sous toutes les formes évolutives que l'on voudra en correspondance à ce schéma étiologique. Le premier de ces liquides, dans le cas ocalex, pourrait bien être tout bonnement de l'eau de chaux venue du culot de pâte pas encore expansé et resté en réserve, l'eau étant évidemment fournie par l'organisme qui en regorge. Le passage d'aliments ou de boissons chaudes, l'usage de transports aériens, comme avions, téléphériques et autres engins volants évoluant en air raréfié, suffirait à provoquer une sorte de goutte-à-goutte pressurisé, minuscule, subtil et inconstant, au point faible des failles d'étanchéité . Voilà de quoi inquiéter fort un opérateur qui compterait uniquement sur la carbonatation pariétale pour assurer une étanchéité à toute épreuve sans pouvoir la vérifier et la compléter. Heureusement que l'eugénate, ce bon vieux complice des dentistes ancestraux, va nous tirer de misère pour la bonne raison qu'il est fait d'eugénol et d'oxyde de zinc. 

Sans m'appesantir sur les caractères physico-chimiques de l'eugénol qui sont pourtant bien intéressants je remarque seulement que, en présence d'hydroxyde de calcium, il forme un corps solide et insoluble. En peu de temps, certains disent immédiatement, nous sommes en présence d'un ciment. Voici, sans autre, l'excellent moyen de sceller définitivement les espaces larges vacuolaires éventuels et maintenir une totale tranquillité clinique en supprimant le spectre de la percolation. Il va de soi qu'une précaution aussi sécurisante doit être prise systématiquement, quel que soit l'aspect radiologique qui pourrait donner l'impression illusoire de la plénitude canalaire. Jamais fixée dans le temps, cette plénitude peut varier ou disparaître, ne laissant à l'image que le mince filet radio-opaque carbonaté pariétal. Si le scellement à l'eugénate a eu lieu, qui est devenu de l'eugénate de calcium marmoréen, rien ne bouge. On doit tout de même prendre la précaution d'aller vite, le retrait du lentulo tournant pouvant être empêché par la prise immédiate du ciment, bien que cette éventualité soit moins fréquente qu'on le dit. 

Subsiste quand-même une difficulté, histoire de vérifier la bonne règle. Le ciment canalaire, obtenu selon l'heureuse méthode exposée ci-dessus, est extrêmement dur, davantage peut-être que la dentine imprégnée de carbonate en toutes ses micro-canalisations et la fine couche pariétale de carbonate elle-même. Si, pour installer un tenon radiculaire dans une intention prothétique, on doit, plus tard, aléser la partie utilisable de l'ancien tracé du canal fossile, on risque facilement la fausse route et ses conséquences fatales. Le plus sûr moyen pour éviter cet inconvénient est d'insérer un court cône de gutta dans l'axe du canal en fin d'obturation. Cette matière est détestable pour l'obturation prétendument définitive des méthodes classiques, par contre, employée ici comme modeste pointeur de direction, elle est tolérable car elle n'affiche aucune prétention obturatrice.



Et si elle n'était pas morte ?

Tout ce qui précède s'adresse, suivant l'intention du promoteur de la méthode, à des dents dont la pulpe est nécrosée, généralement gangrenée, éventuellement génératrice de granulomes, avec toutes les nuances que supposent de pareilles horreurs cliniques. Ne serait-ce que dans ces nombreuses indications la révolution est faite. Pénétration imperturbable illimitée + parage absolu + désinfection totale + obturation exhaustive + consolidation définitive = question réglée.

Que va-t-il se passer lorsque, comme probable dans beaucoup de cas, il reste quelque contenu résistant pas tout à fait nécrosé, éventuellement pas du tout, au fond de cet endodonte cryptique autant qu'inaccessible à l'examen ? Comment vont réagir les quelques filets encore vifs à l'attaque de l'oxyde de calcium qui est tout de même de la chaux vive caustique, toute atténuée qu'elle soit ? Que deviendront-ils en fin de traitement ? Ce n'est plus dans mon petit livre de chez Maloine que je vais trouver la réponse mais, perfectionnement aidant, dans un de ses nombreux successeurs et publications diverses, "L'oxyde de calcium lourd en endodontie : Thérapie endodontique unitaire" par le Dr. Pierre Fohr et le Dr. Nicole Dudart-Fohr dont il présente la thèse de doctorat. Que voilà bien des nouveautés en même temps. Pourtant, puisque qui peut le plus peut le moins, l'expansion de la méthode, effectivement expansive, étant toute entière dans le titre, je vais y trouver aussi réponse à ma première question.



L'oxyde de calcium lourd et son destin

C'est encore Bernard qui annonce qu'il n'a pas osé envisager une thérapeutique unitaire s'adressant à la totalité des situations cliniques que l'on rencontre sur ou dans une dent malade. Il passe donc la main à Pierre Fohr qui, dit-il, a "eu l'audace d'appliquer de l'oxyde de calcium sur une pulpe vivante et sur un moignon d'amputation..." Bernard ajoute "C'est qu'en effet Fohr a utilisé l'oxyde lourd dont... les propriétés sont différentes de celles de l'oxyde léger..." C'est la première fois que j'entends parler de ce nouveau venu et ses propriétés m'intéressent évidemment. Compte fait, il est deux fois plus lourd que son prédécesseur, trois fois plus expansible, dix fois moins rapide dans sa réaction d'hydratation et il ne produit plus d'exothermie donc plus de bouillonnement explosif. En conclusion, c'est une sorte de chaux vive à froid dont le caractère principal est de se prêter admirablement à ce qu'un praticien attend de lui. Il est beaucoup plus actif pour le traitement des dents nécrosées et permet d'envisager celui des pulpes vivantes exactement comme on le ferait, comme on le fait déjà, avec l'hydroxyde de calcium. En ajoutant l'expansion tranquille et puissante aux qualités de cet excellent pansement des plaies pulpaires et dentinaires qu'est l'hydroxyde, notre nouvel oxyde ouvre des perspectives unificatrices étonnantes.

Toutefois, reste à illustrer ce qui se passe lorsque l'oxyde de calcium est mis en contact avec une plaie pulpaire à quel niveau que ce soit de ladite pulpe. Il appert que le premier acte au point, plus exactement à la surface de rencontre, est la destruction par l'oxyde d'une fine couche des cellules. Ces cellules à peine détruites répandent leur liquide interne aqueux et bloquent l'action de l'oxyde qui se transforme immédiatement en hydroxyde, véritables pansement à l'état naissant. L'énorme avantage de cette application sur toutes celles qui l'ont précédé dans l'histoire de l'hydroxyde de calcium protecteur de pulpes, c'est que l'application se fait sur contact naturellement humide non déssèchant, non déshydratant des tissus vivants. L'intimité des surfaces en contact est absolue. L'action lénifiante du produit naissant est, comme toujours en chimie, amplifiée.

Il convient donc de passer en revue les nombreuses occasions d'employer cet oxyde à performance amplifiée et hyperbénéfique, ce qui revient à envisager successivement tous les cas possibles d'atteinte pulpaire.

En premier lieu, l'atteinte dentinaire. Depuis Solas, comme vu plus haut, on sait que les tubuli sont le contenant d'émanations pulpaires directement reliées au tronc central canalaire. Tailler une cavité dans la dentine revient à creuser dans le vivant pulpaire. D'où réaction pulpaire parfois notable, parfois indécelable, à toute attaque dentinaire. Un pansement protecteur est donc indiqué qui ne saurait être meilleur qu'une couche de pâte ocalexique ou hexocalexique, comme on dit depuis l'apparition de l'oxyde lourd. Une précaution souhaitable consiste en l'adjonction à la pâte d'une certaine quantité d'oxyde de zinc, freinateur désormais connu de l'expansion excessive et inutile en l'occurrence précise.

En second lieu, l'atteinte pulpaire ponctuelle. C'est la banale découverte d'une corne pulpaire bien vivante sous la couche de dentine putréfiée dite "dentine ramollie" par euphémisme opératoire. Assortie de la non moins classique "douleur exquise" si l'on n'opère pas sous anesthésie, elle est immédiatement traitée par pansement de pâte ocalexique complétée d'un peu d'oxyde de zinc. La défense pulpaire se traduira à moyen terme par la production de dentine dentinogénétique qui obturera la brèche de l'intérieur. Une nuance toutefois sera suspendue à l'état de la pulpe ainsi exposée. Si elle a conservé sa vitalité intacte, le processus décrit règle le problème. Si la vitalité pulpaire est déjà diminuée sous l'action destructrice de la carie, l'expansion de l'oxyde assurera la lyse des tissus partiellement dévitalisés, au sens propre du terme, et l'action conservatrice ne s'exercera qu'un peu plus profondément, là où la pulpe s'avèrera saine et bien vitale. Il en sera de même lorsque l'action instrumentale aura quelque peu écorné la pulpe au moment de sa découverte, créant quelques débris cruentés voués à la décomposition. Une surveillance radiographique s'impose pour suivre la progression de la réparation. L'important ici est le constat qu'elle progresse sans intervention. On peut se demander au passage s'il est bien nécessaire d'enlever la dernière couche de dentine ramollie, en l'absence confirmée de signes de souffrance pulpaire. Un coiffage hexocalexique ne pourrait-il pas assurer la lyse des sous-produits dentinaires décomposés et amplifier la réaction réparatrice sous une couche de dentine désormais stérilisée et recalcifiée par carbonatation ?

En troisième lieu, devant la nécessité ou le choix d'une pulpotomie camérale, laissant les canaux emplis de leurs pulpes respectives bien vivantes et indemnes, à l'exception de la blessure par l'instrument d'éviction, le remplissage par une pâte hexocalexique s'impose. On obtiendra bientôt une obturation des entrées canalaires par opercules dentinogénétiques. Là aussi, le niveau de la vitalité pulpaire décidera de la pénétration plus ou moins totale dans les canaux. On pourra obtenir une véritable pulpectomie chimique, qui sera évidemment exhaustive, lorsque la vitalité des filets restants sera atténuée au delà de tout espoir de récupération, après la pose d'un arsénieux, par exemple, ou par déficience naturelle ou pathologique. Un exemple de cette situation extrême est donné en annexe, des résultats observés et... des réactions suscitées au sein de la profession par leur publication.

En dernier lieu, nous retrouvons la situation la plus semblable à celle de la dent à pulpe entièrement mortifiée, celle de la dent vivante dépulpée mécaniquement autant que possible. Il s'agit, bien entendu, d'une pulpotomie profonde et en aucun cas une pulpectomie instrumentale dont il est largement démontré qu'elle est illusoire. On peut la complèter par un parage instrumental modèré accompagné d'une irrigation profonde par solvant obligatoirement alcalin comme l'hypochlorite de sodium. Ce n'est théoriquement pas indispensable. Le remplissage des espaces libérés par une pâte non rechargée, possédant au plus haut point sa capacité expansive, son pouvoir lytique sur tous les débris opératoires et les tissus abandonnés "in situ" faute d'être accessibles à quoi que ce soit, va entraîner une pénétration sans limites. On retrouve alors le déroulement post-opératoire décrit plus haut. La dent se transforme "in fine" en un bloc calcifié, la fameuse amphore étanche. Seul demeurera peut-être, la nécessité de combler à l'eugénate mou immédiatement durci l'espace canalaire axial éventuel.

Il n'y a pas lieu de mentionner la situation, pourtant très spectaculaire, où la dent est porteuse d'une quelconque infection apicale. Il est en effet évident, étant donné la capacité d'expansion très augmentée de l'oxyde lourd, que le remplissage des lésions périapicales ou para-radiculaires ne posera aucun problème opératoire et ne sera même pas envisageable. La pâte hexocalexique passera ou non les limites de la racine, se répandra ou non au sein des lésions infectieuses, se résorbera plus ou moins rapidement, sans qu'on y touche le moins du monde. La radio sera témoin d'une guérison progressivement spontanée par simple disparition de la source infectieuse et reconstitution osseuse que rien n'entrave désormais.

 



L'obturation provisoire

Il est habituel de ne pas obturer dans la foulée une dent dont on attend une guérison, même si celle-ci est promise par une longue pratique d'une méthode quasiment infaillible. On doit donc se demander quelle obturation provisoire installer dans le cas particulier de la méthode ocalexique. Les relations particulières, pour ne pas dire étranges, qui s'établissent entre le produit et l'eugénate pourraient faire penser à une incompatibilité. Paradoxalement, il n'en est rien. Au contraire. L'apparition d'un eugénate de calcium dès le premier contact entre l'ocalex et la pâte eugénolée classique va permettre la formation d'une surface intermédiaire dure et jaunâtre qui sera le meilleur garant d'étanchéité. Tout au plus, afin de marquer plus aisément la frontière entre l'eugénate et ce qu'il y a dessous, pourra-t-on installer un très fin voile de coton entre les deux obturations. Au démontage l'eugénate ainsi armé sortira d'un bloc. C'est pourquoi la quantité de coton doit être infime afin d'éviter la projection de fragments par l'instrument tournant.

Sans qu'il soit nécéssaire de s'y apesantir, il suffit de mentionner que toute obturation définitive est compatible avec un traitement ocalexique bien conduit.



Conclusion

L'exposé de la méthode suffit à démontrer sa valeur. Son aspect contestataire du classicisme endodontique lui a valu bien des réprobations, dont la plus injuste est évidemment celle du silence. Quelqu'un a parlé fort justement de "l'homéostasie de l'épistémosphère". Qu'aurait-il dit de celle de l'odontosphère ou de sa couche la plus coriace, la pédagosurdimutité chronique indéracinable ?

Boëge le 5 Mars 2003



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