Ecrits sarcastiques
Hirminte a collaboré plusieurs fois au Bulletin du Syndicat Dentaire Départemental de la Haute Savoie. Voici une sélection de ses interventions.

Vous n'en avez qu'une ?


J'ai lu l'autre jour dans le CDF que je ne sais quelle intervention remarquée de notre Président, avait été attribuée à tort au Président de la Savoie. On s'en excusait.

L'art de la coquille étant pratiqué avec le brio que l'on sait dans les quelques lignes de texte que l'on devine entre les publicités de notre hebdomadaire syndical, il n'est pas étonnant qu'on y mélange aussi les départements. Où serait le mérite si le journal était fabriqué par un véritable imprimeur connaissant un peu le français ? Connaître ses départements était jadis un brevet de culture très élémentaire. Aujourd'hui le CDF ne craint pas d'illustrer un article concernant l'Ardèche avec un petit cliché désignant les Ardennes. Ben quoi, tout çà c'est la province !

Il est vrai que la Savoie c'est pas de la tarte.

On n'arrive pas à savoir si les Savoies sont une ou si la Savoie est deux. J'ai même vu, écrit sur un des ces objets de si bon goût que l'on essaie de vendre aux touristes : "Les Savoie". Quel singulier pluriel!

Au cours de sa longue histoire, la Savoie a été trimballée entre pas mal de gens bizarres depuis les Burgondes, les Ostrogoths et autres Saligoths, en passant par les Espanches, les Bernois et, de-ci de-là, quelques rois de France venus en voisins bien armés, et sans compter les pica-meurons du Salève. Entre les invasions et les incursions sauvages, les occupations et les investigations, elle a dépendu de ses princes légitimes de spoliations en restaurations, pour finir entre les mains d'un empire napoléonien second du nom, rapidement transformé en république. Pour autant, tout au long de ce défilé pittoresque de souverains successifs autant qu'éphémères, personne n'a cessé de la considérer comme unique. C'est probablement la seule constante de son histoire jusqu'au jour où, par la vertu d'un découpage administratif dont la justification m'échappe, elle a été brisée en deux par décision quelque peu arbitraire d'un plumitif de ministère enclin à diviser pour mieux régner. Donc, il y en a deux.

Ce qui est marrant, c'est que seule la Savoie est continuellement citée comme bifide et ambiguë. Parle-t-on des deux Alsaces, des deux Corses, des trois ou quatre Bretagnes, des vingt Paris ? Si les trois Alpes sont considérées séparément, les Deux-Sèvres sont une et le Finistère deux. C'est pas clair ?

Il faut dire qu'il est bien logique de diviser en deux tronçons un endroit dit haut aussi pourvu en plaines lacustres que son homologue dit bas car très montagneux. Curieux exemple d'inversion ! Il est vrai que la Haute possède le Mont-Blanc, curieux sommet à demi italien dont la première fut l'œuvre de deux Sardes sponsorisés par un Genevois, ce qui a permis aux Français de fêter l'événement comme s'ils avaient quelque chose à y voir.Toujours clair ?

En attendant, la Savoie dans sa gemellité ou si l'on veut, les Savoies dans leur unité, se prépare à fêter l'an prochain la révolution parisienne à laquelle, et pour cause, elle n'a participé que comme victime d'une invasion militaire et administrative de plus, en attendant la restauration de son prince et le plébiscite qui l'a réunie à l'empire : Lumineux !

Pas étonnant qu'on s'y perde un peu par là-haut et qu'on ne sache pas bien qui est qui et président de quoi. Quelle idée aussi de ne pas être parisien comme tout le monde.

Où on risque de se marrer, c'est quand on aura fait l'Europe. Il faudra au moins posséder son certificat d'études primaires pour rédiger de CDF


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Au niçois qui mal y pense


L'emmerde avec un canard comme le nôtre c'est qu'on ne peut pas coller à l'événement. Les parutions ne sont pas assez rapprochées. On ne peut pas coller parce que l'actualité va plus vite que mon stylo et bien plus vite encore que l'imprimeur surtout s'il prend le temps de corriger ses coquilles.

N'imprimez pas "couilles" s'il vous plait.

J'écris donc à propos du Congrès de Nice avant de ne pas y aller, d'abord parce que je n'ai rien à y foutre, ensuite parce que les places d'observateurs du côté du bar sont nocives pour le foie, enfin parce que j'ai la faiblesse de juger des discours par leur résultat.

Je sais quand même qu'on y prendra des décisions démocratiquement. Cet adverbe, l'adjectif dont il dérive et le substantif dont il dégringole sont une des expressions favorites des éditorialistes de notre CDF et çà fait toujours son petit effet dans un texte à la langue de bois dur dont on fait les célèbres flûtes de rantanplan.

Quand on sait que quelqu'un de pas con a écrit que la démocratie était la dictature de la majorité on commence à avoir les jetons parce que, logique, la majorité c'est le plus grand nombre et le plus grand nombre c'est forcément la médiocrité. La preuve, c'est que les gens qui ont inventé la démocratie à l'époque où elle n'était qu'un élitisme aristocratique, n'avaient rien de plus pressé, en cas d'urgence, que de coller les pleins pouvoirs à un mec choisi comme dictateur pour qu'il redresse la situation, quitte à l'envoyer à dache une fois calmée la panique ou à lui couper la tronche s'il insistait trop. Relisez vos classiques et par la même occase certaines constitutions des grands états démocratiques.

On y sera donc démocrate. C'est une option politique, qu'on le veuille ou non, et c'est assez curieux de la part d'un syndicat résolument apolitique de par ses statuts les plus fondamentaux.

Là, c'est franchement la trouille que j'ai. Lorsque, comme en ce moment, on est en pleine bagarre avec un gouvernement composé de gens qui sont des politiciens déclarés et ostensiblement partisans d'un choix politique précis, je me demande quel poids on peut avoir en face d'eux. Celui de la raison ? Tu parles ! Il y a belle lurette que le seule raison en ces affrontements est celle du plus fort. Ce n'est plus de la démocratie, c'est du catch.

Il parait que nous avons des dossiers solides. Tant mieux, comme çà on les aura dans le dos, comme tous les dossiers, évidemment.

En réalité notre syndicat n'est pas du tout apolitique. Il est polypolitique et ce n'est pas pareil. Dans un pays ou cinquante quatre pour cent des électeurs ont voté pour ceux-ci, toutes les fois qu'on réunit cent mecs on a de fortes chances, mathématiquement, d'en avoir la moitié pour, la moitié contre et ce n'est pas la moitié contre qui va gueuler le plus fort. Rien ne donne autant d'air aux poumons que le sentiment d'avoir été trompé alors qu'en réalité on s'est trompé tout seul. Aucune allusion aux éléphants de Rennes, bien sûr. Faut pas se gourer de Congrès.

Donc, à Nice, on sera démocratique jusqu'aux orteils et apolitique de la tête aux pieds. On y fera de pressants appels à l'union et là, c'est plus de la trouille, c'est franchement la débâcle. Depuis le temps que j'entends des appels à l'union pour sauver la France, la République, le redressement, les travailleurs, la profession, le pouvoir d'achat, la liberté d'expression, les avantages sociaux, l'emploi et la peau de mes fesses, sans compter les "grands princi-i-pes" (air connu), je fuis les trompettes du rassemblement aussi vite que me le permettent mes courtes pattes de libéral. Parce que voyez-vous, l'union ne peut se faire qu'autour de quelque chose ou de quelqu'un . Alors, qui ou quoi ?. J'ai jamais pu savoir.

Ah si, justement. Tu te souviens ? "Nous sommes unis par la véro-o-le..."


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A la con, à la con, à la convention...


Chouette, j'en ai trouvé une pas mal. Y'a un mec qui te donne un sac à dos si t'achètes de l'alginate, des stylos si t'achètes de l'eugénate, et si t'achètes de l'hydroxyde t'auras un parapluie. Ce coup là, c'est franchement la pochette surprise.

A propos de pébroque ?...

Je pensais à çà l'autre jour devant le supermarché, en attendant dans la bagnole que la maman se refasse le stock de pâtée pour les chats, et je voyais sortir des chariots, des chariots...

Je me disais que toute cette bouffe, personne ne la rembourse. C'est pourtant vachement essentiel à l'existence, la bouffe. Presque autant que la santé.

Or il existe un droit à la santé.

Tu me diras que c'est une connerie grosse comme une maison, à mettre en vrac avec le droit au bonheur, le droit à la différence et autres droits de mes deux, tout juste bons à pêcher des bulletins aux prochaines. Quand même, y'a un type qu'a inventé çà. Y'a même une assemblée nombreuse de gens vachement sérieux, et pas mal payés, qu'a bossé longuement avec plus ou moins d'acharnement, pour donner une définition de la santé. Tu sais bien "la santé n'est pas seulement..." (air connu). Parce qu'en plus elle est "pas seulement". Faut encore en rajouter.

Y'a une éternité que les gusses qui se rencontrent au coin se disent "comment vas-tu, yau de poêle, et toi, l'a matelas" et on doit bosser pendant des années à grands frais sur le dos des subventions pour définir comment que c'est.

Enfin çà les occupe et pendant ce temps là...

Parce que la santé c'est un droit, la médecine çà se rembourse. Mal, parce que pour rembourser, faut tirer du fric à ceux qui ne sont pas malades, ou pas encore, ou déjà plus, pour le donner à ceux qui le sont, afin qu'ils ne le soient plus et qu'ils puissent en donner pour ceux qui le seront. C'est pas simple et il faut un tas de gens pour organiser çà et un tas de fric pour faire fonctionner un tas de bureaux pour ce tas de gens, qu'on tire des gens pas malades qui pourraient le devenir et qui auraient alors besoin de toute cette organisation pour qu'on les rembourse.

On peut se demander si y'aurait pas un système moins compliqué, mais paraît pas. Paraît que c'est comme çà que çà doit marcher et que si çà marche pas, c'est parce que la médecine est trop chère. Alors on s'arrange pour qu'elle le soit le moins possible. On invente un système pas possible de conventions qui sont jamais au point, toujours contestées, négociées, annulées ou caduques, que personne n'est content, ni les conventionnés, ni les conventionneurs, ni les remboursés, ni les rembourseurs, qui remboursent à moitié et qui pourtant "ils nous en prennent assez..." Je me demande ce qu'un observateur très éloigné penserait du phénomène. Alors tu penses, s'il fallait rembourser la bouffe.

Pourtant la bouffe, c'est essentiel à la santé; çà rentre même dans la définition. Faudrait des conventions avec les bouchers, les charcutiers, les boulangers-pâtissiers, les marchands de vin avec modération et y aurait des saucissons hors nomenclature ficelle comprise. Tu parles d'un foutoir, d'autant plus qu'à ce moment là y' en aurait bien un qui se pointerait pour annoncer qu'il peut pas aller à poil, que c'est mauvais pour la santé.

Non la bouffe, c'est pas remboursable. L'indigestion seulement. Elle n'empêche pas les gens de sortir avec des caddies gros comme çà qu'on se demande où ils vont tout y mettre. Et on dit qu'il n'y a plus de familles nombreuses. C'est pas possible, ils doivent faire des stocks en prévision de l'arrivée des Genevois de l'Est.

Parce que les fringues aussi çà compte. On pourrait définir un minimum vestimentaire, un truc fabriqué en grandes séries, tout pareil pour économiser, et qu'on fournirait gratos histoire de vêtir les "habillement faibles" ou les "non sapés". Un uniforme en somme, avec un numéro de Sécu dans le dos pour savoir qui est l'ayant droit et pouvoir le récupérer si le gars fait fortune et devient indigne d'être soutenu.

Comme ils seraient tous pareils, on appellerait çà l'Armée du Sécu. On pourrait envisager un système de complémentaires pour les godasses ou le bitos, parce que, comme çà varie avec le climat, on peut pas garantir. Si le mec de Nice touche une toque en fourrure en Août et le type de Lille un sombrero en Novembre... non, trop compliqué, vous n'avez qu'à vous assurer en plus . La surprime pour bottes de pêche est quand même prise en charge pour les chômeurs, mais c'est l'Assedic qui paie.

Bon. On va pas en rester là, parce que la santé çà s'enfile vraiment dans des domaines pas croyables. La bouffe, la soigne, et la baise alors ? Faut organiser la baise parce que c'est vachement bon pour la santé, pas vrai ? Tu me diras qu'y'a déjà les alloques, d'accord, mais c'est quand même un peu trop branché sur le rendement. Non, ce qu'il faut c'est rembourser les frais de la baise gratuite, en quelque sorte pour le plaisir, si tu vois.

On va y réfléchir, une espèce de con-vention.


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Vous avez dit Miracle ?

ou Dessine-moi une Sécu : au choix.


Toutes les fois qu'un journaliste sèche pour trouver un titre Il utilise Saint-Ex ou Jouvet.

Donc mon titre sera :

Vous avez dit Miracle ?

ou Dessine-moi une Sécu : au choix

Je l'annonce en toute modestie. J'ai trouvé le moyen de sauver la Sécu. Qu'on se le dise au niveau de l'Etat. Vive l'assurance maladie régénérée et triomphante !

Comment ?

Le moyen c'est la détaxe.

Suppression de l'impôt sur le revenu pour les professionnels de la santé. Suppression de la TVA sur le matériel, les produits, les locaux, l'énergie, les services, les assurances et tout le matos et les moyens de la médecine et consorts. Plus de vignette pour la bagnole du médecin, essence détaxée bien sûr.

Tous les prix à poil. Le percepteur, connais pas. Resteront les honoraires nets de toute la cascade de fiscalité qui les gonfle et les fait enfler au profit de qui vous savez.

Pendant qu'on y est on pourra éliminer les charges sociales et laisser les praticiens s'assurer au pif s'ils le désirent.

Quel informaticien de génie, comme il n'en manque pas chez nous, s'amusera à faire les comptes et à présenter les honoraires ainsi dépouillés de leur carapace fiscale ? Pour un revenu net égal à celui que nous recevons en définitive lorsque tout le monde l'a ponctionné au passage, combien demanderons-nous à nos malades ?

La Sécu légère, légère, comme la margarine au Machin, remboursera sur cette base des sommes si minuscules que l'on pourra même envisager de réduire très sérieusement les cotisations.

Tu parles d'un coup de fouet pour les entreprises et l'économie du patelin ?

Vous me direz qu'avant de proposer un truc pareil, il faudrait découvrir un ministre capable de risquer la camisole pour présenter le projet et des gonflés comme çà y en a pas lerche aux finances. Faudrait aussi un parlement insensible à la suffocation et des députés bien calés sur leurs sièges.

A propos, qu'est-ce qu'on a fait d'autre dans la fameuse nuit du 4 Août dont on va bientôt nous casser les écoutilles avec le bi-centenaire ? Il est vrai qu'à l'époque on coupait la tête à ceux qui n'étaient pas d'accord. Procédé évidemment radical pour sauver la France qui, si j'en crois mes souvenirs scolaires, était dans un beau merdier .

C'est pas le cas aujourd'hui ?


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Et tout le tremblement


Machiavel était un conseiller politique un peu plus avisé que les autre. Cela ne lui a pas réussi.

De son nom on a tiré deux adjectifs. Machiavélien, veut dire froid, objectif, dénué de sentiments, mais pertinent et efficace. Autrement dit un mariolle. Machiavélique, ajoute une touche de malveillance diabolique. Autrement dit un habile salaud.

Sont-ils machiavéliques ceux qui nous font vivre dans la peur ?

Ils étaient sûrement machiavéliens ceux qui ont dit qu'un peuple terrorisé était facile à gouverner et à pressurer.

Tous les socio et autres psychologues qui conseillent les gouvernements savent bien que le maintien d'une atmosphère de crise, de danger permanent, de catastrophe imminente, rend les peuples frissonnants et dociles aptes à tous les sacrifices. Alors on en ajoute et on en remet.

Il y a le péril jaune, les invasions barbares, le nouvel Attila, l'horreur qui vient de l'Est, la guerre froide, l'Orient qui chauffe, l'Orient qui brûle...

Il y a la météo, les trous dans l'ozone, l'effet de serre, la montée des mers, la fonte des glaces, la sécheresse des déserts, la ruine des forêts, les pluies acides, les vents déchaînés, les sauterelles rongeuses, les mouches carnivores et les abeilles tueuses, les vaches folles et les renards enragés...

Il y a la maladie bien sûr, l'hépatite, le choléra, le cancer et le sida, chefs de file d'une multitudes d'horreurs complaisamment ressassées et qui quêtent, qui quêtent...

Il y a la télévision où tous se braquent, un flingue au poing, flic, justiciers, assassins, suicidés, militaires et terroristes, aux armes, aux armes !...

Entre temps il y a les sujets sérieux et nourritures quotidiennes des médiasses : l'enfance abandonnée, l'enfance recueillie, l'adolescence dévoyée, la jeunesse droguée, les paumés, les exclus, les marginaux et les révoltés, les démunis et les désespérés, les fanatiques et les endoctrinés, les affamés et les agonisant, les taulards et les tricards, les pollués et les désertifiés, les guerres civiles et leur cortège, les guerres militaires et leurs séquelles, et çà craint, et çà craint...

Il y a la surpopulation, l'Europe submergée, le tiers-monde qui déborde, l'immigration sauvage, les banlieues instables parce que détestables, l'asile politique, le racisme, la xénophobie, le touche pas à ma popote, les bôtes pipeuls, les chiliens, les albanais et les roumains-michel...

C'est pas tout ma pauv'dame. J'en aurais comme çà pour des heures rien qu'avec la procréation assistée, dirigée, congelée et multipliée, les mères porteuses qui sont pas les baiseuses, les hétéro et les homo, les poly et les mano a mano, les manipes génétiques et l'éthique qui tique, y'a vraiment de quoi mettre la dysenterie dans les ménages...

Mais si y'avait pas tout çà, comment qu'ils feraient pour nous faire avaler les impôts, les taxes, les contributions, les cotisations, les compensations, les conventions, l'inflation... jusqu'à la révolution.


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L'ectoplasme


L'autre jour, je tombe sur une pub pour un instrument qu'avait l'air pas con. L'événement est suffisamment rare pour être signalé.

Etant donné que j'ai été plusieurs fois couillonné dans ma carrière par des vendeurs de gadgets inutilisables et que commence à devenir méfiant tout baisé récidiviste, en proportion du temps d'exposition à l'agressivité publicitaire et au dessus du seuil de rébellion, dit encore "limite de la connerie publique", je demande donc à essayer l'instrument avant de le juger apte ou inapte à servir à quelque chose en dehors du strict fait d'être vendu, fort cher, à un brave mec destiné à s'envoyer l'expérimentation à ses frais.

Je téléphone donc à la boite qui fabrique ce truc et je tombe sur une brave dame tout à fait dévouée que ma question plonge dans le plus cruel embarras et un abîme de réflexions torturantes. Je conclue de ses bégaiements que personne n'est là ce jour-là, que les responsables, techniciens, vendeurs, sont tous à l'agonie à l'hôpital du coin, ou en stage à Madagascar, ou en taule à Mexico. D'ailleurs on n'a pas d'appareil de démonstration, les dépositaires non plus puisqu'ils n'en ont même pas à vendre vu que la publicité a été lancée avant la mise en place du réseau de distributeurs. On verra ce qu'on pourra faire pour moi. Je laisse mon adresse et on m'écrira.

Les mois passent.

Un jour, je reçois en réponse à mes inquiétudes techniques, un prospectus d'une seule page, recto-verso, absolument identique à la pub d'une seule page, recto-verso, que j'avais remarquée l'autre jour lointain.

J'en conclus que le fabricant de la chose commence à s'ébrouer. Je retéléphone pour savoir où, premièrement voir, deuxièmement regarder, troisièmement essayer l'engin.

S'ensuit un inextricable débat géographique pour savoir où se trouve la Haute-Savoie, entre le Guatemala et le Yamonzebkhistan. On finit par me désigner un détaillant de Lyon qui se fera un plaisir, à condition toutefois que je consente à me rendre chez lui, trois cents kilomètres de bagnole à mes frais plus le péage. Un peu soufflé quand même, je prends la précaution de téléphoner au lyonnais en question pour m'assurer de sa présence et de sa collaboration.

Le gars est parfait. Il m'attend. Il a en effet aperçu quelque part un instrument qui répond vaguement à la définition, peut-être même dans son propre stock. Il va regarder. Y'a qu'à dire.

Le temps passe et j'hésite à me lancer à nouveau dans cette chasse à l'introuvable lorsqu'une nouvelle pub à propos de la même bête me tombe sous l'œil, m'apportant ainsi la preuve qui si l'objet s'enfuit, la manifestation persiste et que l'image se substitue à la matérialité. C'est la définition du fantôme.

Nouveau coup de fil "à l'adresse indiquée". La réponse est expresse et d'une précision surprenante : voir Chambéry.

Comment ? Si près ? J'en suis tout chose.

Je téléphone tout de même vu qu'un excès de facilité cache souvent le machiavélisme le plus abject.

Tilt !

Le gars de Chambéry ne sait pas, ne connaît pas, d'ailleurs, s'il en avait, il serait mon oncle. Plus exactement, il aurait peut-être connu l'homme qu'a vu l'homme qu'a vu l'ours, mais chez lui y'a-n'a-pas (air connu) et "si y'en a y'en a guère". Conclusion : faut voir.

Comme c'est tout ce que je demande, je laisse pisser le mérinos quelque temps et, avec l'obstination de l'imbécile, je rappelle la maison du mystère en demandant si oui ou merde on veut me faire une démonstration, expérimentation, représentation ou manipulation, mais bordel, qu'on s'en occupe.

Depuis j'attends.

Avec patience, bien sûr, parce que maintenant c'est les vacances. Après, ce sera la rentrée avec ses perturbations qui vont bien durer jusqu'aux fêtes. Ah ! évidemment les fêtes, çà fout tout en l'air jusqu'aux bilans, inventaires, déclarations d'impôts, vacances de Février qui paralysent tout jusqu'à Pâques, là où précisément commence l'impossible époque des examens qui préfigure la non moins diaboliquement bordélique saison des vacances. De plus, comme de juste, y'a la crise du Golfe.

Et voilà pourquoi notre usine est muette.

Quand je pense que ces gens-là proposent leur bidule pour à peu près une ou deux briques selon l'unit auquel il est destiné, parce qu'en plus çà fonctionne pas sur n'importe quoi. Quand je pense qu'une organisation de vente aussi bien foutue est certainement, comme en règle générale, bien plus efficace que le service après-vente, je me dis qu'il y a vraiment des coups de pieds au dépôt de bilan qui se perdent.

Si vous voulez voir la documentation de ce mystérieux objet invisible, elle est sur mon bureau. Fossilisée.


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Y a l'téléphon qui décon


Nous vivons à l'ère du j'menfoutisme téléphonique, du zabu téléphonique, du tout partout téléphonique et du raz-le-cul téléphonique. On te téléphone de tout, y compris de la pub.

"Allooooo... ici la maison Duconnod, la cuisine au petit trot" !

Il y a ceux qui te téléphonent pour ne pas se déranger. Parce que, de nos jours, on ne se dérange plus. C'est marqué sur les affiches et les prospectus "sans vous déranger" ou "ne prenez pas de risques". Alors on reste et on téléphone.

Comme on ne se dérange plus on téléphone pour demander à l'autre de se déranger : "Téléphone voir au dentiste, j'ai pas le temps d'y aller aujourd'hui... dis-y qui m'téléphone".

Il y a ceux qui, pour ne pas se mouiller téléphonent. C'est impoli mais anonyme. Il est même incongru de chercher à percer cet anonymat. Demander de la part de qui est une indiscrétion. On m'a répondu l'autre jour "qu'est-ce que çà peut vous foutre ?".

Dans ces conditions, protégé par la distance et par l'incognito, le téléphoneur n'est plus tenu à la courtoisie. Ton, expression, vocabulaire, sont libres et si çà tourne mal on peut toujours raccrocher sec. Jusqu'aux employées des boites commerciales qui répondent d'un ton las, exaspéré, excédé ou mourant d'épuisement, surtout le Vendredi et surtout de Paris. Mystère de la géographie.

Il y a ceux qui téléphonent pour répondre à toutes les questions et régler tous les problèmes. Ils ne s'engagent à rien. Donc "toujours jamais écrire". C'est le style jeune cadre, communication, média, avec un S parfois comme tous les pluriels. La pire insulte qu'on peut leur faire est d'affirmer que l'on sait très bien lire. Ecrire et signer, quelle horreur ! Il n'y a que quand tu leur dois du fric qu'il faut confirmer par lettre.

Il y a ceux qui promettent de téléphoner, manière moderne de t'envoyer paître. On se téléphone parce que, tout de suite, on n'a pas le temps de parler. Quand on aura le temps, on se téléphonera pour dire qu'on se rencontrera pour parler et ensuite pour dire qu'on ne pourra pas y aller et qu'on se téléphonera. C'est la version téléphonique du plombier qui viendra Lundi.

Pareil pour les rendez-vous. On les demande par téléphone. Pas vu, pas pris. Pour la moindre broutille on les annule. Par téléphone. On téléphone aussi après les avoir manqués pour dire qu'on n'a pas pu. On dit qu'on r'téléphonera.

L'exploration téléphonique des abonnés présumés absents est bien connue. Suffit de coller sur la porte de ton cabin une affigoince que t'es absent pour quelques jours pour que çà sonne dur à ton numéro privé, histoire de vérifier si la piaule est vraiment vide ou si ta belle-mère est restée pour s'occuper du chat.

Tout le monde possède son emmerdeur de midi familier. Il appelle immédiatement après les hors-d'œuvre et s'en excuse si longuement que le dessert des autres est bien entamé quand tu sais enfin ce qu'il te veut. C'est généralement une connerie qui aurait parfaitement pu attendre le souper. Il bénéficie pourtant d'une sorte d'écoute à très fort impact, sous forme de rôti froid à la sauce coagule.

On connaît aussi le décapiteur de cinoche, celui qui coupe de début des films à la télé. Il te sonne aux premières lignes du générique pour "vite téléphoner avant le film" et te lâche après cinq minutes de bégaiement hâtif, juste à temps pour te laisser suivre, stupide, un policier définitivement imbittable.

Il existe une varièté appréciée, celle de ceux qui appellent juste avant la conclusion du même polar. Comme les trois quarts des productions prestigieuses de nos écrans plats sont des histoires de flics, ils ont le champ large sur la fréquence et t'as au moins une chance de te réveiller avant le Dou Dou Dou...

Il y a ceux qui appellent la nuit à des heures pas possibles parce que c'est moins cher. C'est la belle-sœur qui habite bien loin mais qui est très près de ses sous.

J'en connais d'autres.

Celui qui appelle juste pendant la prise d'empreintes. Celui de la dent de sagesse fragmentée avec une tronculaire couci-couça. Celui qui se goure de numéro et qui t'engueule parce que c'est pas le bon. Celui qui te demande le numéro qu'il croyait être le tien et qui s'étonne si tu sais pas. Celui qui s'installe bien confortablement pour se lancer dans une conférence d'autant plus interminable que ton poste est installé dans un couloir à courants d'air. Celui qui t'assomme avec ses petites histoires dont tu te fous amplement et que tu ponctues poliment de "ouais... ouais... moin... moin... oh c'est sûr", en pensant "quel con".

Il y a déjà des boites à rires et des cassettes à gémissements amoureux. on va bientôt inventer, un de ces quatre, des répondeurs miniaturisés pour dire merde en plusieurs langues.


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"Là où y'a des fripes"


Il parait que les temps sont durs dans la profession. A voir les travaux sophistiqués dont les photos éclatent en pleine page des revues professionnelles qui nous gouvernent, on pourrait presque en avoir des complexes.

"Avec ma p'tite couronne j'avais l'air d'un con ma mère..." A se demander où ces gens-là recrutent leur clientèle à pognon et comment ils se démerdent avec le tarif conventionnel.

Je savais déjà que l'euphémisme règne en maître sur la profession, mais ce coup-ci c'est franchement de la grandiloquence. C'est un peu pareil pour les chiffres d'affaires qu'on entend proférer à droite à gauche. C'est pas croyable. "nom de Dieu, c'que j'dois être mauvais!" se lamentait l'autre jour un jeune confrère qui bosse comme collaborateur depuis deux ou trois ans. Effectivement il était un peu court mais, à comparer avec les rodomontades habituelles, c'était franchement le flingue, la corde sur la poutre et le coup de talon dans l'escabeau.

Y'en a, j'vous jure, rien que de l'or et de la céramique, et encore ne le dites pas n'importe où. Ils seraient honteux de leur précarité.

Donc les temps sont quand même assez durs, surtout quand on visite les expositions de matos où le moindre zizi à roulettes pour te laseriser les papilles fait ses cinq briques comme un grand. Quand tu traduis çà en SCP, tu calcules que pour amortir tu devras rester au fauteuil jusque vers les cent quarante ans. Les SCP c'est la nouvelle monnaie : Si C'est Pas... malheureux.

Bon. Alors je propose un truc. Touts les années, à l'époque du gibier, des champignons, voire de la choucroute ou des atriaux, on organise une foire aux puces syndicale.

C'est pas que les gens du syndicat aient des puces, quoique avec l'informatique... Non, c'est seulement pour revendre à vil prix tout le matériel qui n'intéresse plus et qui fait faire des gueules aussi longues aux représentants quand on leur demande une reprise contre un matériel neuf.

Comme me disait un vieux renard de la fourniture, que je lui avais déjà laissé la peau de mes fesses, "je reprends rien, j'en ai plein ma cave". Je lui ai demandé comment il avait rempli sa cave puisqu'il ne reprenait jamais rien et je suis allé me faire peler les fesses ailleurs.

Donc je propose une foire annuelle aux vieux ou moins vieux ruclons, de l'équipement complet du pépé qui casse, aux bidules invraisemblables que nous enfournons plus ou moins régulièrement dans nos tiroirs discrets, pour le cas où... Précisément, ma foire, ce serait le cas où. Les gros trucs on en ferait une polaroïde, les transportables on en ferait comme son nom l'indique et on pourrait exposer tout le bordel dans la salle du troquet où on irait ensemble casser la croûte comme au vieux temps où la réunion syndicale ne pouvait ni ne devait se concevoir sans un gueuleton.

De nos jours, ou plutôt de nuit, on n'a même pas le temps de boire un pot à La Roche pasque la maman t'attends avec le rouleau à pâte.

La formule vous plait pas ? Le dîner, pour faire chic et pour voit la gueule que t'as après dix ans de cabin que je t'ai pas vu et puis la foire comme prétexte, raison d'être et motivation comme on dit de nos jours où il faut se faire péter l'amygdale pour être compris.

Quel jour, quelle heure, où çà ?



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