Du côté de ma mère
Essai de généalogie biographique pour servir à mes descendants et autres intéressés

 

Introduction

Dans un précédent travail je me suis consacré à l'histoire de la famille DUCROT qui est celle de mon père Paul. Dans l'essai présent je vais essayer de reconstituer plus ou moins celle des familles du côté de ma mère Yvonne. Ce sera plus difficile de ce côté de mon ascendance car les sources sont moins accessibles et les personnages plus nombreux, du moins à ma connaissance et dans les structures les plus proches de moi. On voudra bien me pardonner les confusions et les oublis inévitables.
Pour rendre la lecture moins technique et plus agréable j'adopte ici la forme didactique et non pas la nomenclature un peu sèche qui prévalait dans «Lé deu Crot». Le texte y perdra peut-être en précision mais gagnera en souplesse.

De ma mère

Ma mère Yvonne Pierrette LAILLARD est née à Taninges le 14 Septembre 1902. Ses parents y étaient instituteurs. Ils s'étaient mariés en 1900. Son père, donc mon grand-père maternel Claude Marie LAILLARD, était originaire d'Arenthon et son épouse Adeline Noémie BURTIN, ma grand-mère est née à La Tour près de Saint-Jeoire. Taninges était leur premier poste double mais ils n'y restèrent que deux ans. Noémie avait enseigné brièvement à Andey au-dessus de Bonneville.
Avant leur mariage Claude exerça à Chamonix et Noémie dans un hameau de Passy au plateau d'Assy. Claude avait auparavant devancé l'appel au service militaire afin de se libérer de ses obligations pour enseigner ensuite sans interruption. Il servit dès dix-huit ans au 30ème Régiment d'Infanterie Alpine, à Chambéry.
Ma mère quitta Taninges pour Bons Saint-Didier en Chablais lorsque ses parents y furent nommés en 1904. C'est là que lui naquit une soeur, Eudoxie Juliette. Pour l'anecdote je signale que Claude prit à Bons la direction de la fanfare républicaine.
Ma mère fit des études primaires jusque au Brevet Elémentaire et se présenta à l'Ecole Normale d'Institutrices de Rumilly où elle fut admise au début de la première guerre mondiale, la Grande Guerre. A cette époque la famille LAILLARD s'était installée en poste à Marcellaz en Faucigny, au-dessus de Fillinges. C'est de là qu'Yvonne partit pour suivre ses études à Rumilly. C'est là aussi que les frappa l'annonce de la mobilisation générale d'Août 14 et la déclaration de la guerre. Claude partit pour Tamié où son unité occupa un fort près du col en attente d'une affectation dans les zones de combats meurtriers que l'on sait et qui durèrent jusque en Novembre 1918. Noémie fut chargée de la direction de l'école primaire en qualité de directrice en remplacement de son mari. Elle occupa aussi la fonction de secrétaire de Mairie, le titulaire étant mobilisé. Yvonne vécut donc en internat et sa soeur Eudoxie resta à Marcellaz à préparer son Brevet élémentaire.
Devenue institutrice Yvonne occupa son premier poste aux Fornets, un hameau de Mégevette dans la vallée du Risse. Elle y enseigna jusqu'à son mariage en 1925 avec mon père, Paul DUCROT, alors instituteur à Bogève. Le jeune ménage fut nommé à Sevraz, une commune au-dessus de Viuz-en-Sallaz, où il occupa l'école du village jusque en 1931, date à laquelle il quitta la campagne pour la ville d'Annemasse et pour exercer à l'école primaire de Gaillard.
Entre temps les parents d'Yvonne avaient obtenu le poste double de Vétraz-Monthoux, près d'Annemasse. C'est pourquoi je suis né à Vétraz-Monthoux le 20 Juin 1926, ma mère ayant préféré accoucher chez ses parents et auprès de sa mère que chez elle à Sevraz. J'ai raconté les conditions de ces évènements et une partie de leurs suites dans "Ar Gelveneg".
Vers 1930 la famille DUCROT-LAILLARD alors composée de Paul et Yvonne DUCROT, Eudoxie LAILLARD qui deviendrait bientôt VAILLOT et Claude et Noémie LAILLARD, décida de construire une villa commune dans un lotissement périphérique de la ville d'Annemasse à l'extrémité de ce qui n'était que la future rue de Ecoles rebaptisée plus tard avenue Pasteur.
De 1931 à 1934 Yvonne vécut en famille dans la nouvelle maison. Elle quitta Gaillard en même temps que son mari car ils furent tous deux nommés à Annemasse qui venait d'inaugurer l'important groupe scolaire de l'avenue Pasteur opportunément situé à quelques pas de la maison de famille. Elle conserva ce poste sans interruption jusque à sa retraite. Outre son métier Yvonne pratiqua un certain nombre d'activités parascolaires auxquelles étaient officiellement encouragés les enseignants de son époque afin d'accentuer l'encadrement de la jeunesse en différentes structures plus ou moins pédagogiques ou plus précisément idéologiques. Le combat contre l'exclusivité de l'enseignement par la seule Eglise catholique n'était pas encore totalement effacé et quelques séquelles en subsistaient dans les mentalités. C'est ainsi qu'Yvonne devint instructrice bénévole auprès des Cadets Annemassiens, une société musicale municipale de fifres et tambours selon une formule assez habituelle en Suisse, qui fut fondée par Claude LAILLARD vers 1936 conjointement avec son gendre Paul DUCROT. Le fait que je fasse partie de cette jeune formation était pour ma mère une sorte d'obligation morale d'avoir à participer afin de me contrôler discrètement en permanence. Yvonne se mit à skier lorsque je débutai dans ce sport vers 1933. Elle s'inscrivit aussi au Club Alpin Français, pratiqua le scoutisme laïque et suivit ainsi parallèlement mes activités extérieures.
En 1939 la famille, comme le monde entier, fut confronté à l'explosion de la seconde guerre mondiale. Bien que prévisible elle affecta profondément l'existence de l'ensemble des nations. Claude, revenu intact et Lieutenant de réserve du précédent conflit ne fut pas rappelé car trop âgé et légérement intoxiqué par les gaz de combat. Paul fut mobilisé mais affecté à l'état major de l'Armée des Alpes à Sevrier. Il avait fait son service en 1920 dans les troupes d'occupation de la Sarre puis avait enseigné le Français aux tirailleurs Sénégalais à Epinal. Il était sergent et fut nommé sergent-chef en 1940. Démobilisé suite à la défaite il prit contact avec les réfractaires et autres résistants d'Habère-Poche, son village d'origine. Yvonne fut incorporée comme volontaire dans la Défense Passive qui ne défendit pas grand chose.

Après l'occupation italienne puis allemande, leurs rigueurs, leur horreurs et par conséquent la résistance qui prenait dans nos régions des allures franchement militaires avec l'extension des maquis de plus en plus organisés, les activités d'Yvonne prirent un tour plus calme et moins diversifié. Plus prudent aussi malgré une complicité active en qualité de boite aux lettres pour les résistants des milieux enseignants dans l'académie de Grenoble. Un évènement déterminant pour elle fut mon départ pour le Collège Municipal de Thonon en 1942. Désormais interne et plus âgé, je pratiquais l'alpinisme, l'escalade et le ski dans un contexte moins familial et je libérais ma mère de sa fonction de mère poule pourtant fortement encouragée par ma grand-mère qui dut se rendre à l'évidence de mon émancipation relative.
Sur le plan familial étendu aux nombreux cousins, cousines, tantes et oncles divers, ma mère fut confrontée à des risques plus qu'à des pertes effectives tout au long d'une époque qui vit beaucoup de tragédies. On peut dire en résumé qu'à l'exception d'un cousin et de son épouse, au demeurant assez peu recommandables et aux actions nébuleuses sinon franchement délictuelles, toute la famille s'en sortit assez bien. La libération vit Yvonne en famille au complet et son fils poursuivant ses études à Paris vers une profession libérale sentie comme une nouvelle promotion sociale après celles qui avaient délivré de la fatalité agricole ses parents, ses grand parents, ceux de son mari et en général le milieu ancestral désormais historique mais pas oublié.
La suite de la vie d'Yvonne se déroula sans heurts ni malheurs particuliers jusque à sa retraite qu'elle prit dans la maison familiale. Les uns après les autres ses parents moururent, sa mère Noémie en 1957 puis son père Claude en 1961 enfin Paul son mari en 1971 hémiplégique depuis 65.
A sa retraite Eudoxie Juliette, qui avait officiellement renoncé depuis longtemps à son premier prénom qu'elle jugeait ridicule, vint s'établir à Annemasse et les deux soeurs vécurent ensemble jusque à la mort de la cadette en 1986.
Les petits enfants d'Yvonne, Pierre puis Jacques résidèrent successivement plusieurs années durant leurs études secondaires dans un appartement que les deux soeurs firent aménager au deuxième étage de la maison familiale. Yvonne eut aussi la joie de connaître ses trois arrière-petits-enfants, Julien, Thomas et Quentin, nés du couple Pierre et Véronique qui ne fut pas durable. «Lé deu Crot « mentionnent cette filiation.
Efficacement et longuement soutenue par sa belle-fille Mady et une organisation infirmière aussi complexe que parfois chaotique Yvonne mourut le 7 Janvier 2007 à l'hôpital de Bonneville au milieu de sa cent cinquième année.

               





Eudoxie Juliette

Née à Bons Saint Didier en 1904 Eudoxie, soeur cadette d'Yvonne vécut son enfance à Marcellaz. Suivant en cela la nouvelle affectation de ses parents. Elle prépara avec succès le concours d'entrée de l'Ecole Normale d'Institutrice suivant en cela la tradition familiale largement étendue aux diverses cousines et quelques cousins comme on le verra. Elle n'exerça pas en Haute-Savoie mais continua ses études à Lyon dans l'espoir d'obtenir des diplômes supplémentaires ou de se présenter aux concours des grandes écoles dans les spécialités littéraires. Elle n'obtint pas le succès attendu mais s'exila à Paris où, dans un souci de perfectionnement permanent, elle obtint le CAEEA à savoir le Certificat d'Aptitude à l'Enseignement aux Enfants Anormaux. Elle épousa un collègue originaire de Bourgogne nommé René VAILLOT connu plus tard comme écrivain, grammairien et historien régionaliste, lui même enseignant et plus tard inspecteur dans son domaine professionnel. Ce mariage fut stérile et le divorce survint assez rapidement pour des raisons intimes auxquelles se mêlèrent des considérations politiques assez nébuleuses portant sur les divisions internes de la gauche socialiste.

Juliette avait rapidement renoncé à son premier prénom qui était également celui d'une de ses tantes qu'elle exécrait. Elle resta désormais célibataire et se consacra à son métier avec autant d'intensité qu'aux différentes options politiques de gauche ou d'extrême gauche qu'elle défendit sa vie durant malgré un désenchantement évident. Comme tout le monde la seconde guerre mondiale fut pour elle une expérience prévisible autant que tragique et déterminante. Après avoir participé à haut niveau administratif à l'organisation de l'évacuation des enfants de la capitale vers Blois et d'autres régions de la Loire et du Nivernais naïvement réputées hors d'atteinte des dangers militaires, elle se retrouva, à son retour à Paris, séparée de sa famille par la division du territoire, la capitale et une bonne moitié de la France étant comme on sait en zone occupée matérialisée par la célèbre et odieuse ligne de démarcation. Pour venir malgré tout en Savoie de temps à autre malgré les dangers que présentaient les passages clandestins sévèrement interdits, Juliette se livra à des exercices périlleux, d'autant plus qu'elle était aussi impliquée dans un mouvement de résistance proche du marxisme combattant et affiliée à une chaîne d'évasion vers l'Espagne des aviateurs alliés abattus, fugitifs des camps de prisonniers ou rescapés dissimulés en territoire français.
La libération trouva Juliette passablement désemparée car soumise à la fois à la joie d'une victoire à laquelle elle avait consacré une activité assidue mais aussi à la perte de son concubin de l'époque tué sur une barricade pendant la bataille urbaine parisienne. Elle reprit sa profession sans bouleversement ni modification de son mode de vie, si ce n'est un certain scepticisme qui ne l'éloigna pas toutefois de ses préférences politiques. Elle prépara et obtint son diplôme de Directrice des Ecoles de la Ville de Paris et s'installa dans le 20e arrondissement. A cette époque je l'avais rejointe dans son logement du 15e afin de poursuivre mes études dans des conditions moins précaires que celles auxquelles étaient soumis les étudiants dans l'immédiat après guerre. Elle prit enfin la direction d'un établissement du quartier des Gobelins, rue de l'Arbalète, jusqu'à sa retraite qu'elle passa à Annemasse auprès de ses parents et des miens.

Reprise par un renouveau de vocation pour l'enseignement, Juliette créa à Collonges un institut médico- pédagogique décidé par la municipalité d'Annemasse sous l'appellation «Nous aussi». Pour achever sa formation elle obtint le diplôme d'orthophoniste et exerça à titre salarié et parallèlement privé. Elle entraîna sa soeur Yvonne à collaborer à cette institution pendant quelques années jusqu'à la mort successivement de leurs parents et de son beau-frère Paul en 1971. Retirée de toute activité extérieure elle fut très présente et disponible pendant les mois où ses petits neveux Pierre et Jacques logèrent à Annemasse en périodes scolaires
Juliette est morte d'un infarctus au début de l'année 1986.



Du côté de ma grand-mère maternelle

Noémie Adeline

Ma grand-mère maternelle Adeline Noémie BURTIN est née à La Tour en Faucigny en 1878 au sein d'une famille assez nombreuse dont je n'ai connu ni la totalité ni la chronologie des membres. Je crois savoir que l'aînée était Olympe, suivie de Pierrette et Eudoxie. Il y avait aussi Joseph plus un autre garçon un peu plus jeune dont le prénom m'échappe ou reste incertain, Thézyr enfin, sauf oubli ou décès ignoré d'autres enfants en bas âge. Une sorte de légende voudrait qu'un jeune BURTIN, frère ou cousin de cette fratrie soit décédé de la grippe espagnole vers 1915 mais je n'en ai jamais trouvé trace ni confirmation. Le père de Noémie était Jean-Louis BURTIN instituteur diplômé à Turin sous le règne de Victor Emmanuel Roi de Sardaigne, Duc de Savoie entre autres titres. Une autre affirmation probablement exacte veut que le jeune candidat se soit rendu à Turin à pied, en compagnie d'autres postulants, en passant par le Mont Cenis ou l'un des deux Saint-Bernard. C'était une pratique habituelle à cette époque où les passages des Alpes étaient familiers aux piètons et aux véhicules hippomobiles et où les usagers étaient très entrainés à parcourir ainsi de très longues distances, en caravanes et par étapes.
La mère de cette imposante famille se nommait Péronne Philomène CHATEL et était originaire de La Tour. Elle était couturière déclarée sans profession et mourut relativement jeune. Je n'ai jamais entendu parler d'une famille CHATEL à laquelle elle aurait été liée ou dont elle descendrait comme c'est certainement le cas. En ce qui la concerne mes connaissances s'arrêtent là. Par contre j'ai entendu dire avec insistance par l'une ou l'autre des soeurs BURTIN qu'elles ont été élevées par une certaine Maman Lise, dont j'ignore le nom de famille, sorte de gouvernante au foyer de leur père. J'ignore également son rôle exact auprès de ce dernier.
Ce BURTIN Maître d'Ecole était originaire de Guillard, un hameau de Mieussy situé au pied des hautes parois qui dominent la vallée du Giffre en allant vers Taninges. J'ai visité l'ancienne ferme originelle, délabrée mais encore debout en 1943 et 44 lorsque, mon père et moi, nous avons cultivé des pommes de terre dans les fortes pentes qui l'entourent, avec peu de succès car la terre y était sèche et caillouteuse. Nous y allions en vélo depuis Annemasse et c'était une agréable promenade d'une cinquantaine de kilomètres. Je suppose que les gens qui vivaient là à l'écart du village devaient être un peu sauvages et passablement misérables.
Jean-Louis BURTIN naquit à Guillard en Mars 1844 d'un père cultivateur prénommé Jean et d'une mère nommée Péronne MORNAL. Je n'ai pas d'autres documents concernant cette famille dont l'impression que j'en tire est celle d'une fierté affirmée proche de l'orgueil de caste. Venue de basse extraction, probablement pauvres en leur état d'origine, les enfants et petits enfants se considérèrent ensuite comme notables à l'échelle de leur village d'adoption, respectables et honorables dans leur fonction. Ils tenaient à ce qu'on le sache et exigeaient qu'on le leur fasse sentir.
Je note à propos de Guillard ce qu'en dit Tavernier dans une monographie concernant Mieussy dont je scanérise un court chapitre. Il semble que les gens qui habitaient ce lieu haut perché étaient surnommés «les maures». Or dans l'esprit du temps étaient dits maures les gens du sud, principalement d'Espagne, ou suffisement «mauricauds» pour leur ressembler. Pourquoi pas des Gitans ? Ceci mis en parallèle avec le terme patois de Buratins qui désignait les mêmes Gitans peut faire penser à une origine lointaine à préciser.

Une autre source de renseignements officiels mais sommaires fait état de trois autres BURTIN de Mieussy que je compte comme membres de la tribu. Il s'agit de Louis 1909, d'un précédent en 1896 qui doit être Joseph. J'en parle plus loin. Le plus ancien serait né en 1773, donc 87 ans avant la fin du temps sarde et dont je ne sais rien sinon qu'il prouve l'ancienneté de l'établissement de la famille. Noémie devint institutrice à la suite de son séjour à cette Ecole Normale qui devait accueillir ou avait déjà accueilli certaines de ses soeurs ainsi que plusieurs de leurs descendants. Comme je l'ai dit plus haut, elle exerça à Andey d'abord, puis au plateau d'Assy avant d'épouser Claude LAILLARD en 1900 et suivre le destin professionnel du couple qu'ils formèrent désormais. L'existence des membres de cette famille LAILLARD jamais séparés à l'exception temporaire et relative de Juliette qui revint au bercail à la fin de sa carrière parisienne comme elle y revenait régulièrement en vacances scolaires, est sensiblement la même pour tout le monde.

Les vicissitudes de l'existence ne les atteignit qu'ensemble et c'est ensemble qu'ils y firent face. C'est pourquoi, parler de Noémie ou de Claude, de Paul et d'Yvonne ou de Juliette, revient à reproduire les images identiques d'une histoire commune.
La période qui s'étend de 1914 à l'armistice de 1918 plaça Noémie dans l'obligation d'assumer des responsabilités qu'elle aurait partagées avec son époux ou même jamais abordées en d'autres circonstances. Elle sortit de cette épreuve considérablement renforcée dans la haute opinion qu'elle avait de ses capacités d'organisatrice responsable jusque au dirigisme sans nuances. Seule la vieillesse lui retira un peu de cet aspect dominateur qu'elle compensait d'ailleurs grâce à une forme de dévouement indiscutable et qu'elle utilisait avec assez de tact pour s'imposer avec autorité mais gentillesse.
Noémie est décèdée à Annemasse en 1957.



Olympe


Cette tante Olympe BURTIN était grande, solide, le verbe haut et volontiers sentencieuse. C'était l'aînée de la famille. Elle devint évidemment institutrice. Elle exerça en particulier dans le Haut Chablais mais je n'ai pas trouvé trace de son parcours professionnel en dehors du Biot. Elle y épousa un garde forestier nommé Anatole PREMAT qui se tua en montagne la laissant veuve assez rapidement. Ils eurent trois fille. Ida, l'aînée, épousa en 1920 Jean-Pierre RENEVIER du Biot où il était boucher. Le couple a tenu une boucherie au Biot jusque à la mort de Jean-Pierre en 1943 Ida continua ce commerce et également l'exploitation de L'Hôtel des Tilleuls. Elle se remaria au Biot avec MORAND Jean-Pierre. Elle n'a eu d'enfants ni de son premier ni de son second mariage.
La seconde fille du couple PREMAT est Valérie Philomène Constance née en 1898. Elle devint institutrice comme sa mère. Elle épousa Louis GUIMET, instituteur et camarade d'Ecole Normale de mon père à une promotion près. Ils enseignèrent principalement à Thonon-les-Bains, à l'Ecole de la Place des Arts.
Ils prirent leur retraite à Ambilly où ils construisirent une villa près de la route de Genève où certains de leurs descendants résident probablement encore. A leur retraite ils devinrent adeptes du caravaning et vécurent ainsi dans les régions méridionales et sur la côte d'azur. Valérie décèda en 1977 dans sa caravane au Lavandou.
Un autre détail doit être mentionné pour éviter les confusions. Louis GUIMET avait un frère qui épousa Valentine SERRATRICE la fille de Thézyr BURTIN. On retrouvera cette Valentine ci-dessous. Enfin il faudra remarquer que l'aîné des trois enfants du couple GUIMET se prénomme Louis comme son père.
Les trois enfants en question se nomment dans l'ordre : Louis, Marcel et Georges dit Jô.
Louis épousa Jô ROFFET probablement Georgette, professeur d'anglais à l'Ecole Hotel de Thonon. Ils vécurent principalement à Grenoble où il était ingénieur agronome. Ils eurent trois enfants que je ne connais pas. Il était bon alpiniste et excellent skieur. Il est mort accidentellement en plongée.
Marcel fut postier comme sa tante Paule que je citerai plus loin. Il épousa une Hollandaise. Ils eurent des enfants dont je ne sais rien.
Jô suivit les cours de l'Ecole Hôtel de Thonon et exerça plus ou moins dans cette activité. Désormais sans nouvelles ni contacts.
Les deux ainés de ces trois GUIMET ont été mes compagnons en alpinisme, escalade et ski en tous genres durant tout le temps où nous fréquentions ensemble l'Auberge de Jeunesse de Morzine et les itinéraires du haut Chablais.

Louis Guimet en escalade

La troisième fille des PREMAT devint postière. Elle épousa Jean François GEYDET postier à Annemasse. Ils n'eurent pas d'enfant. Ils habitaient Ambilly. Ils venaient souvent rendre visite à ma grand mère à notre maison de famille. Paule était célèbre à Annemasse et dans la région sous le nom de «la Paule» bien connue des usagers comme "demoiselle du téléphone" pas encore automatisé.

Une grand-tante censurée

Cette grand-tante inévitablement institutrice, eut un destin à la fois original et tragique. Je l'ai connue un peu avant la guerre de 1939. Elle exerçait à Marcellaz. Mariée à un collègue nettement plus jeune qu'elle et décidée à supprimer au moins en apparence cette dénivellation qu'elle jugeait menaçante pour la stabilité de son ménage, elle faisait des efforts méritoires pour corriger son aspect à l'aide de teintures excessives et de maquillages accentués parfaitement ridicules. On m'a laissé comprendre, sans insister, que sa méfiance n'était que trop justifiée et que le sémillant jeune homme qu'était son mari se chargeait de lui fournir souvent de nouvelles raisons de l'alimenter.
Le couple eut deux fils. L'aîné Roger était ingénieur agronome à Annecy. Il mourut assez jeune d'un cancer de la gorge alors pratiquement incurable. Il était marié et père de deux enfants que son décès sépara de notre famille et dont je ne connais rien.
Le cadet F... dont je dissimule volontairement le prénom, était connu comme véritable délinquant récidiviste, parfois incarcèré, qui fut exclu de divers établissements scolaires pour cette raison ou d'autres moins anodines encore comme le cambriolage de notre propre maison de famille. Il laissa sa vie entre les mains de la Gestapo, vers 1943, ainsi que son épouse, pour des faits qui ne relèvent nullement du patriotisme mais bien du droit commun et sur lesquels je ne m'étendrai pas. Un jeune enfant échappa, dont je n'ai trouvé aucune trace. Recueilli par ses grands parents sans doute ? Cette partie de la famille d'un nom que je ne citerai pas fut rapidement rayée des souvenirs.

 

Pierrette


Yvonne BAUDET

Elle est à l'origine de ceux que j'appellerai les Miaufférands, ne tenant compte ici que des générations nouvelles issues de ces anciens que l'on doit considérer comme la souche des BURTIN de Guillard.

Pierrette partie pour Paris dans sa jeunesse, comme énormément de savoyards et spécialement de gens de Mieussy, y travailla dans un bistrot dont elle était semble-t-il gérante ou employée privilégiée. Elle revint à Mieussy pour se marier. Son mari était Théophile, un peintre en bâtiment formé à Tours, peut- être Compagnon ou seulement Frahan affilié à Samoens. Il était spécialiste des faux-bois et faux-marbres ainsi que de la peinture de lettres et enseignes. Le couple construisit une maison entièrement incluse dans le talus amont de la route du bas du village, où passait également, à raser la façade, la ligne de chemin de fer de la vallée de Samoens Il y avait un café au rez-de-chaussée de cette maison originale dont le second étage était à peine au niveau du haut du talus. A ma connaissance elle existe encore au moment où j'écris ce texte. Théophile s'appelait BAUDET, un nom bien local. Le couple eut deux enfants, une fille prénommée Yvonne et un garçon, Francis. Yvonne BAUDET épousa un postier de Taninges, François MULATIER célèbre dans sa région pour avoir été un des pionniers du ski au Praz de Lys où il possédait un chalet de plaisance à l'époque où ces vastes pâturages ne contenaient que des vaches. Ils eurent un fils également postier dont je ne sais pas grand chose sinon qu'il s'appelait Roger.

Francis suivit son père dans l'art de peindre en bâtiment et s'établit à Mieussy. Il vécut auparavant à Paris,avant la seconde guerre mondiale et s'y forma à son métier. En 1940 il échappa à la captivité et à la débacle de l'armée en revenant à pied du front du Nord. Il s'en faisait une gloire.
Après la guerre il retourna à Paris. Il rencontra Geneviève, une polonaise immigrée qu'il épousa et dont il eût une fille.

 


Léontine la cousine

La cousine de qui ?
Jusque à nouvel ordre je n'étais pas sûr de l'origine de cette cousine ni comment elle est reliée à la famille des Miaufférands dont je viens de parler à propos de Pierrette et Théophile BAUDET et leur descendance. Tout ce que je savais tient dans l'affirmation d'un cousinage proche. Ensuite il est apparu que sa mère était une fille BURTIN qui aurait épousé un nommé BESSON. Léontine se nommait donc BESSON. Son frère Louis BESSON est mort au combat en 1918.
Léontine était institutrice à Mieussy, ce qui n'a rien d'original dans la famille BURTIN et consorts. Elle se maria en catastrophe, pour cause de mobilisation générale en 1914, à un certain Louis LYONNAZ alors à Sixt. Il fut tué lui aussi vers 1917. Il laissa à sa veuve un enfant prénommé Yvon qui ne connut jamais son père dont la tombe se trouve dans le carré militaire MF du cimetière Saint-Michel d'Epinal.

               
Louis Lyonnaz et son fils Yvon

Léontine vivait à Messy, un hameau de Mieussy situé sur la route qui monte vers Sommand. Elle occupait avec sa mère une vaste maison à grande cour, ancienne ferme dont le toit portait ostensiblement l'équerre et le compas dessinés en tuiles claires sur la toiture sombre par les couvreurs de l'endroit. C'était sûrement une allusion à l'appartenance du propriétaire à la confrérie des Frahans de Samoens.
Yvon était un charmant jeune homme affectueux très attaché à sa mère. Il devint instituteur, exerça peu de temps avant de mourir à l'hopital de La Tour d'une péritonite aigue en conclusion d'une appendicite mal ou pas soignée du tout. Léontine qui portait ostensiblement le deuil depuis son veuvage tragique en fut extrêmement affectée une fois de plus. Elle était désormais connue comme la dame en noir grande, mince et voilée qui s'adonnait au spiritisme dont elle parlait beaucoup. Elle vécut plus tard à Annemasse ou Ville-la-Grand chez des cousins ou des neveux dont je ne sais pratiquement rien sinon qu'une certaine Odette était considérée chez nous comme une cousine qui épousa un Italien immigré nommé POVOLO,

Thézyr

Je crois que cette Thézyr au prénom bien peu commun en nos régions était la dernière des enfants BURTIN de La Tour. Elle ne suivit pas l'exemple de plusieurs de ses soeurs et ne devint pas institutrice. Elle s'employa comme tenancière, probablement gérante ou seulement serveuse dans un café de Saint-Jeoire tout près de son village natal. Ce bistrot de réputation assez houleuse, était fréquenté surtout par les ouvriers piémontais, généralement maçons ou terrassiers, voire ouvriers des travaux publics. Nombreux à cette époque à se louer en Savoie en diverses entreprises, ils constituèrent une vague d'immigration historiquement importante. C'est l'un d'eux, nommé SERRATRICE qui épousa Thézyr. Leur fille, cause ou conséquence de ce mariages aux allures de mésalliance décèda au début de son adolescence. Elle se prénomait Léa. La seconde fut Valentine qui épousa Fernand GUIMET frère de Louis dont j'ai parlé plus haut et conducteur de locomotives à vapeur. Elle eût une fille qui devint professeur dans l'enseignement secondaire mariée à un collègue. Pas d'enfant.

         
Thézyr et sa fille Valentine                                    Léa

Joseph

Il n'y avait, à ma connaissance, que deux garçons en cette fratrie BURTIN. L'un d'eux était Joseph que je n'ai rencontré qu'une seule fois. L'autre se nommait Louis. Je me souviens de Joseph. C'était un homme grand et imposant, prospère et fort bien habillé par fonction, portant gilet et chaîne de montre en or ainsi que chapeau à larges bords. Il aurait été à l'aise dans un western pour y jouer le propriétaire arrivé, une sorte de moyenne entre l'aventurier et le négociant un peu maquignon.
Joseph vivait à Paris et traitait ses affaires en une brasserie connue comme «L'ambassade d'Auvergne», point de rencontre des négociants polyvalents. Il semblait riche ou plutôt occasionnellement à l'aise. Il parlait haut et portait beau au-dessus de tout sens de l'humour. Lorsque je l'ai rencontré un peu avant la guerre il était veuf ou dans une situation matrimoniale imprécise. On ne m'en a jamais dit davantage car il semblait qu'un léger voile de réprobation était tendu entre cette partie de la famille peuplée d'honorables et dignes fonctionnaires et les quelques originaux qui complétaient l'ensemble.

Louis

Je ne l'ai pas connu. Il se maria et s'établit en Normandie. A Granville ou dans les environs.



Du côté de mon grand-père maternel

Pierre LAILLARD

Le plus ancien des LAILLARD d'Arenthon est Pierre LAILLARD né en 1847 à Arenthon à en croire son acte de décès. Ses parents sont Claude LAILLARD et Bernardine DUCHENE dont je ne sais rien. De milieu rural comme très généralement à son époque et dans cette région il travailla dès sa jeunesse comme alpagiste dans les montagnes des Bornes et probablement des Aravis. Il y apprit entre autres professions liées à cette activité saisonnière celle de fromager. C'est en cette qualité qu'il s'installa à Arenthon et devint le responsable de la Fruitière. Ces sortes de coopératives locales de fabrication de produits laitiers s'étaient rapidement répandues dans les Alpes du Nord ainsi qu'en Franche-Comtée sous l'impulsion de responsables politiques qui en faisaient un argument de développement social. On note à ce sujet les noms de Guillermet et Alfred Bastin.
Après une longue période mal déterminée Pierre ne renouvela pas son contrat de fruitier et s'établit comme cultivateur et éleveur selon la coutume générale de ces régions exclusivement rurales. Il épousa Elise MALLINJOD. Leur famille compta six enfants, sauf erreur, dont Claude mon grand-père maternel. La chronologie et les éléments biographiques que j'ai tenté de réunir sont presque tous issus de la tradition familiale, recueillis par ouï dire et donc forcément incomplets ou mal assurés.
J'ai peu de renseignements sur la vie discrète et laborieuse de ce grand père de ma mère dont j'étudie la famille du point de vue de cette dernière. Il travailla la terre jusque à un âge avancé. Il perdit son épouse et fut veuf relativement tôt. Il eut le malheur de perdre deux enfants, une fillette de six ans que je cite plus loin mais auparavant un garçon nommé Marcellin dont je n'ai découvert l'existence qu'à la suite des présentes recherches. Les circonstances de cette disparition sont tragiques comme on le verra ci-dessous.
Retiré chez son fils Claude à Vétraz-Monthoux Pierre y est décèdé en 1926, l'année de ma naissance. J'avais six mois et malgré mon jeune âge j'ai de lui une image incroyablement précise bien que peu crédible. J'en garantis cependant l'authenticité comme celle de l'environnement.

     
Pierre LAILLARD et son épouse, Elise MALLINJOD


Irma

Vive, intelligente, elle ne poursuit pas ses études primaires et se marie à un artisan menuisier de Pontchy resté cependant exploitant d'une petite proprièré rurale comme beaucoup de ses contemporains en cette période de mutation de la condition paysanne. Il s'agit de Jacques CHEVALLIER. Ils ont au moins cinq enfants à ma connaissance.
L'aînée est Elise. Elle reste célibataire, travaille la terre familiale et mourra relativement jeune du tétanos suite à une blessure provoquée par son cheval. Sa disparition entrainera la cessation des activités maraichères et la vente des terres autour de la maison de famille.

La seconde, ou les secondes car je ne suis pas sûr qu'elles ne sont pas jumelles, sont Marie et Claudette. Marie reste célibataire malgré dit-on un concubinage plus ou moins avoué ou durable. Elle travaille dans l'administration locale à la sous-préfecture de Bonneville, peut-être dans celle des tabacs. Sa soeur Claudette, également secrétaire fonctionnaire, épousera un coiffeur de la place nommé LEGON connu dans notre famille sous le sobriquet de "pauvre minet", auparavant prisonnier de guerre en Allemagne. Ils ont des enfants dont je ne sais rien.
Un fils, Antoine, se marie et s'établit à Megève comme épicier de luxe dans cette station qui en a la spécialité. Il se fait une réputation méritée en devenant grossiste, sous l'occupation, ce qui lui permet de ravitailler les maquis répartis dans les montagnes de la région, profitant des facilités et autorisations de déplacement qui lui sont accordées. Il va parfois jusque dans les villes proches et même à Lyon se charger aussi d'armes ou de personnages clandestins. Il a deux enfants : un garçon surnommé Polo, probablement Paul, et une fille dont je ne sais rien.
Un second fils CHEVALLIER devient imprimeur. Syndicaliste très ancré à l'extrème gauche il milite dans une imprimerie coopérative dite L'Abeille. Il épousera une espagnole en exil après la victoire de Franco. Elle se prénomme Dolores, dite Lola et serait originaire de Castellon de la Plana. Ils prendront leur retraite en famille en Espagne.

Claude


Claude LAILLARD est né à Arenton en 1878. Il était le second enfant et premier fils du couple Pierre LAILLARD et son épouse Elise MALLINJOD.
Cette lignée présente un caractère assez original en ce que son patronyme a été déformé par un scribe inconnu mais malencontreux. A l'origine Il s'écrivait LALLIARD comme cela a été conservé dans la commune d'origine qui est Saint-Pierre-de-Rumilly où une famille de ce nom s'est perpétuée. Par contre cette petite branche d'Arenthon a désormais disparu faute de descendants mâles. Exeunt les LAILLARD.
Il faut ajouter à cette particularité que la commune d'origine elle-même a changé son appellation pour Saint-Pierre-en-Faucigny.
Je vais donc développer la généalogie de l'apport paternel à l'histoire de la famille du côté de ma mère.

C'est donc en 1878 que nait Claude au foyer de Pierre et Elise. Il se révèle intelligent et travailleur et parcourt avec facilité ses études jusqu'au Certificat d'Etudes Primaires sous l'oeil intéressé de son instituteur qui le prépare spontanément au Brevet Elémentaire qu'il obtient facilement. Son oncle MALLINJOD, frère de sa mère, lui propose alors et surtout à ses parents, de le diriger vers le séminaire de La Roche sur Foron et de lui faciliter l'accès à la prêtrise. Cet oncle est en effet un capucin qui agit avec un instinct du recrutement qui le conduira bientôt à s'exiler en qualité de missionaire à la Réunion d'où il ne reviendra pas. Claude refuse avec énergie cette offre de faire une carrière dans le clergé. Ses opinions le poussent plutôt à se présenter à l'examen d'entrée à l'Ecole Supérieure de La Roche où il est admis avec facilité. Désormais et pendant plusieurs années il fera tous les jours à pied le trajet d'Arenthon à La Roche, aller et retour de nuit après l'étude du soir, quels que soient la saison et le temps d'hiver. En effet il travaille à la ferme pendant la belle saison et s'emploie souvent à la Fruitière que gère son père. Il obtient ainsi le Brevet d'Etudes Primaires Supérieures qui est, dans la filière primaire de l'époque l'équivalent du baccalauréat. Ils étaient encore à ce moment-là des diplômes prestigieux ouvrant des perspectives de perfectionnement illimitées.
Pendant ses années d'études rochoises Claude a été continuellement sous l'influence d'un anthentique "dragon de la République", excellent directeur de cette école supérieure, laîque déterminé, anticlérical irréductible, fortement imprègné de la mission pratiquement sacrée de combattre par la qualité de son enseignement les prétentions de L'Eglise à conserver le monopole de l'enseignement Il est vrai que nous sommes encore au 19e siècle et que 1904 est encore bien loin. C'est dans cet esprit, qui lui convient parfaitement, que Claude pensera et travaillera tout sa vie et qu'il formera ses enfants, plus tard ses élèves. C'est presque naturellement qu'il se présentera au concours d'entrée à l'Ecole Normale d'Instituteurs où il est évidemment admis et d'où il va sortir vers 18 ans pour entrer en fonctions immédiatement.
Son premier poste de suppléant est Chamonix où on est très inquiet car le glacier des Bossons est si pléthorique qu'il menace de couper la route. Claude est quand-même beaucoup plus intéressé par la présence d'une jeune institutrice débutante qui éxerce dans un hameau du plateau d'Assy. Elle se nomme Noèmie BURTIN et nous la connaissons déjà !


Claude se trouve dans une situation toute provisoire en ce qu'il ne peut accepter un poste définitif avant d'avoir fait son service militaire. Il espère aussi obtenir l'acquièsement de cette jeune fille dont il est extrèmement amoureux et qu'il a décidé d'épouser dès qu'il sera libèré et qu'il gagnera sa vie. Il décide donc de devancer l'appel et s'en va sous les drapeaux à Chambéry ce qui ne l'éloigne pas trop de ses préocupations principales. Il sert dans les Alpes et dans l'Infanterie Alpine. Il en sort avec le grade de Sergent-Major grâce à sa profession, sa position d'engagé et ses compétences militaires.
En 1900 il épouse Noémie et ils font à Paris leur voyage de noces à l'exposition universelle.
Dès ce mariage le destin de Claude sera parallèle à celui de son épouse. Comme je l'ai exposé déjà dans le chapitre consacré à cette dernière j'évite de me répèter et j'invite à consulter le texte qui résume les quatorze années de vie commune, les postes professionnels occupés par le ménage, la naissance des deux filles, la vie heureuse et sans histoires de la petite famille.


Tout change brutalement lorsque retentit le tragique tocsin d'Août 1914 qui, sans qu'on s'en rende compte encore va bouleverser celui de tout un continent et bientôt celui du monde. Claude s'en-va-t'en-guerre et comme toujours ne-sait-si-reviendra. Au début il est envoyé avec une petite troupe occuper le fort de Tamié qui domine la plaine d'Albertville et le débouché de la Tarentaise. On n'est pas encore très sûr de l'option de l'Italie et du choix qu'elle fera de son alliance. La position de Claude est vraiment tranquille et le séjour agréable Un camarade dessinateur illustre cette heureuse villégiature par le croquis ci-contre qui montre Le Sergent-Major en ses fonctions.

Cependant au loin la guerre fait rage et il arrive les soirs de forte bise, que l'on entende le canon de Belfort. Bientôt le Régiment part pour le front et le fort de Tamié retrouve le silence de ses voisins les moines.
La première guerre mondiale a provoqué une telle avalanche de littérature et d'ouvrages tant historiques que techniques qu'il serait vain et fastidieux d'ajouter encore à cette litanie de destins individuels et d'horreurs inexprimables. Je dirai seulement que Claude m'a dit bien longtemps après son retour : "Quand je suis parti j'étais jeune. Quand je suis revenu j'étais vieux". Cette phrase simpliste vaut celle de son frère François : "Ils ne m'ont pas tué... ils m'ont cassé". Le sentiment, plus général qu'on ne pense, n'est pas d'être devenu des héros. Ce serait plutôt une sorte de culpabilité secrète de ne pas avoir combattu le mal absolu.

En 1918 le lieutenant LAILLARD rentre chez lui. Il a refusé une promotion s'il restait dans l'armée en qualité d'instructeur au fameux bataillon de Joinville qui forme des athlètes de haut niveau. Il est vrai que Claude est lui-même un excellent gymnaste. Il a préfèré continuer son métier d'enseignant et retrouver sa famille. A son retour il trouve sa femme Directrice d'Ecole, Secrétaire de Mairie. Sa fille aînée est à l'Ecole Normale d'Institutrice. La cadette est en passe de suivre la même chemin. Claude bénéficie de cinq annuités triples, soit quinze ans à valoir sur sa future retraite. Il a reçu la croix de guerre et la médaille militaire avec palmes. Il présente une lésion discrète aux amygdales suite à une inhalation d'hypérite qui lui interdira de fumer, lui qui se contentait à peine de trois paquets par jour de cigarettes fortes qu'il allumait, la suivante au mégot de la précédente. Le couple s'établit à Vétraz-Monthoux, se rapprochant ainsi d'Annemasse. En liaison avec leur fille aînée et son mari et leur cadette désormais divorcée les LAILLARD décident de construire en cette ville une maison qui servira aux anciens pour leur retraite et aux plus jeunes d'habitation commune dès qu'ils auront obtenu des postes en ville. Viendra ensuite la retraite pour tous. Ce cheminement est en effet classique chez les enseignants pour diverses raisons à commencer par l'obligation de se loger lorsque fera défaut le logement attaché à la fonction. Vient ensuite l'attirance de la vie urbaine pas encore décriée par un débordement de ses nuisances. La maison est terminée en 1931.
Claude participera activement à l'Harmonie Municipale dont il deviendra vice-président. Il sera le créateur d'une socièté musicale para-scolaire laïque, les Cadets Annemassiens. Il sera adjoint au maire d'Annemasse Claudius Montessuit jusqu'en 1940 où ils sont destitués par le gouvernement de Vichy. Il sera Commandant de la Défense Passive locale aux mêmes dates. Il pratique le cyclotourisme à une époque où ce sport est encore un loisir de pionniers. C'est surtout sa passion pour la musique qui le soutiendra toute sa vie et le conduira à diriger plusieurs fanfares au gré de ses résidences professionnelles. Un de ses plaisirs les plus étonnants était de lire des partitions des plus complexes, commodément installé dans son fauteuil comme d'autres lisent des romans ou simplement le journal.
Claude perdra son épouse en 1957 et décèdera lui-même en 1961.

François

Né en Mai 1880 François manifestera rapidement une intelligence et surtout une obstination considérables qui feront de sa vie une sorte de résignation originale et sans joies. Petit, solide, il travaille la terre. C'est un paysan par choix et par goût de la solitude et de l'indépendance portées au paroxisme. Il lit beaucoup, s'instruit, parle peu ou pas, fuit la foule et ses semblables. Sa jeunesse a été, dit-on, joyeuse et extravertie. Elle fut brisée par la guerre encore plus qu'elle ne le fut pour beaucoup de ses contemporains.
Engagé en Alsace dès les premières offensives il participa avec son BCA à la conquête irréflèchie de Mulhouse. Il défila lors de la prise d'arme qui fêtait cette victoire plus que prématurée et il me raconta plus tard : "Autour de notre fanion nous étions... sept. " La suite de la guerre fut pour lui extrèmement dure. Les hommes de recrutement exclusivement savoyard ont l'impression d'être considèrés comme des Français de provenance extérieure, véritable chair à canons à l'instar des Bretons, dit-on, et des coloniaux de divers territoires. C'est du moins l'opinion qu'il se forme au fur et à mesure de cette épreuve.


François LAILLARD et son chien
Dinky

 

De retour dans son village François se trouva sans métier, sans compagne assez fidèle pour l'avoir attendu, sans avenir autre qu'un statu quo pour un homme brisé. Décidé à demeurer loin du monde et si possible des hommes il se fit molardier. Il faut savoir qu'à cette époque, après la perte de si nombreux jeunes gens et l'obligation de se consacrer à la nécéssaire reconstruction de tant de territoires ravagés, de familles mutilées, la main d'oeuvre rurale était aussi rare que dans l'industrie, avec cette circonstance agravante que la proportion des paysans disparus était énormément supérieure à celle des autres classes sociales. Les ouvriers agricoles étaient très demandés surtout dans la saison des grands travaux qui ne disposaient pas encore de l'apport de la mécanisation à venir. Les travailleurs disponibles se réunissaient au Printemps en des lieux désignés de certaines grandes villes ou des bourgs d'importance. Ces endroits s'appellaient Le Mollard et plusieurs se nomment encore ainsi de nos jours. Les mollardiers y rencontraient leurs futurs employeurs. On établissait des contrats de gré à gré et on fixait les conditions d'accueil, de logement, de rendement espèré. La plupart des accords se faisaient sur parole, scellés par l'habituelle et rude poignée de main des contrats paysans.
Chaque année François empattait sa faux, l'outil noble dont on ne se sépare jamais lorsqu'il est adapté et entretenu avec un soin presque maniaque. Il se rendait à pied vers quelque ferme lointaine généralement toujours la même d'année en année car il était très apprécié pour son sérieux et ses compétences autant que par son comportement beaucoup plus raffiné que celui de ses compagnons. Pour son honnêteté farouche aussi.
Il se rendait presque toujours en pays de Vaud ou dans le Jura suisse. Lui et ses semblables partaient en troupes et se dispersaient de loin en loin selon le but de leurs itinéraires. Ils revenaient en Automne, après les vendanges ou à la période des foires. François retrouvait Arenthon, son petit logement très rustique à l'extrèmité de la longue maison de famille des LAILLARD et son travail épisodique suivant les rares appels de ses voisins et connaissances. Il passait ainsi la mauvaise saison dans une sorte d'hivernage sommaire avant de reprendre la route du mollard aux environs de Pâques.
Sa vie se déroula ainsi dans une pauvreté assumée et presque obstinée jusque à sa retraite qu'il prit, ou plutôt accepta de la part de son frère et de ses soeurs qui se cotisérent pour une sorte de viager. C'est à cette époque que je lui ai donné mon chien.
Dinky était né à Habère-Poche dans la grange de la maison familiale de mon père. Il était minuscule et on l'installa dans une boite à craie garnie de chiffons car il ne pouvait bénéficier de la chaleur maternelle, la chienne étant morte d'une hémorragie en le mettant au monde. Heureusement qu'une chatte de l'endroit, à laquelle on venait de dérober ses petits pour les sacrifier, s'aperçut de la présence de cet affamé et se chargea de lui pour le gîte et le couvert. Cette originalité fit de ce petit chien un admirateur imprudent des chats de rencontre malgré leurs griffes acèrées et leurs miaulements horrifiés. Mon père décida d'élever Dinky à Sevraz, où nous résidions alors, puis de m'en faire cadeau moyennant plusieurs biberons quotidiens et quelques brossages hebdomadaires de poils duveteux. Lorsque la famille s'installa à Annemasse dans la maison toute neuve nous avions pris l'habitude de passer nos Dimanches et nos nombreuses vacances à Arenthon, soit pour entretenir et exploiter les propriètés de mon grand-père, soit seulement pour profiter des nombreux agréments de la vie rurale. Le chien y était aussi heureux que nous et sûrement davantage car, en ville, il tournait en rond et aboyait le facteur pour seuls loisirs. Un jour, je décidai de laisser Dinky à la campagne à ce grand-oncle désomais casanier qui hérita ainsi du seul compagnon fidèle de sa vie solitaire.

En 1936 François contracte une congestion pulmonaire qui prend rapidement un aspect inquiètant. Transporté à Annemasse à notre maison de famille et confié à notre bon médecin habituel il décède après quelques jours à 52 ans. Son chien qui était resté près de lui jusqu'au dernier soupir traverse la pièce et se couche dans le coin opposé après un seul bref gémissement. François est enterré à Arenthon.

Joséphine

Joséphine n'a pas d'histoire. Elle est morte à 6 ans. J'ai entendu dire que c'était du croup, cette complication de la diphtérie.

Marcellin Honoré

Aucune trace de ce grand-oncle qui semble inconnu de sa famille. Personne n'en parle et son existence semble ignorée sur la terre comme au ciel. Tout ce que j'ai découvert à son sujet est la mention d'une transcrption à la Mairie d'Arenthon de son décès en 1923. On précise qu'il est né à Arenthon en 1893. Il était célibataire et résidait dans le Jura à Saint Ylie. Une démarche auprès de cette commune actuellement incluse dans celle de Dole m'apprend qu'elle était le siège d'un important hopital psychiatrique. Je suppose qu'à cette époque il s'agissait davantage d'un asile que d'une maison de cure. Les détails obtenus de l'incarcération et de la sécurisation des pensionnaires probablement violents et dangereux ne laissent aucun doute à ce sujet. J'observe aussi que la déclaration de décès a été faite par le personnel de l'hopital et que la famille n'intervient aucunement à cette occasion. J'en conclue que ce LAILLARD authentiquement fils de Pierre et Elise a souffert d'une grave affection mentale irrémédiable et qu'on a décidé de l'exiler loin de son pays de naissance et de l'effacer à jamais.
Je me souviens que l'on racontait autrefois dans la famille l'histoire d'un jeune enfant qui serait tombé d'une échelle et en serait resté paralysé. Est-il permis de supposer qu'il s'agit de Marcellin demeuré paraplégique après cette chute ? Interrogé sous couvert du secret médical l'établissement de Saint Ylie est cependant demeuré muet.

Louise Marie

Louise Marie, que je n'ai jamais entendu nommer autrement que Marie tout court, est née à Arenthon en 1886. Sa vie commence sans originalité par d'excellentes études. Elle lit beaucoup, se cultive et on m'a dit qu'on la voyait rarement sans un livre à la main. Elle entre sans difficulté à l'Ecole Normale de Bonneville et devient institutrice. Jusque là son parcours est normal. Elle va pourtant choisir de s'exiler pour perfectionner son anglais. Elle répond à une offre d'une riche famille anglaise, peut-être bien écossaise, qui l'engage comme préceptrice auprès de ses deux enfants. Elle va y rester quelques années et reviendra en Savoie moitié par nostalgie, moitié devant les progrès remarquables jugés suffisants de ses élèves. Elle gardera toute sa vie un souvenir délicieux et ému de la vie de chateau.
Marie entre alors dans le mouvement normal des nominations académiques et, comme les jeunes institutrices sans ancienneté, va s'installer en montagne dans un village réellement perché, Novel, au-dessus de Saint-Gingolph. Elle y fait rapidement connaissance d'un garde chasse qui est peut-être un douanier car il n'est pas mobilisable. Je n'ai pas de précision à ce sujet. Je sais seulement que Marie l'épouse.

Novel est un village frontière avec la Suisse et les limites entre les deux pays sont assez complexes, à cause des montagnes qui l'ensèrent, pour que la contrebande, y compris celle des arbres dignes d'être abattus, soit une habitude ancestrale lucrative. Quoi qu'il en soit ce mari qui se nomme BIRREAUX disparait dans un accident peut-être une agression en 1917. Marie est une jeune veuve qui doit élever seule une fillette prénommée Irène qui fera montre d'un tempèrament plutôt dynamique mais charmant. Dans ces conditions Marie sollicite et obtient un poste en ville. On va la retrouver à Thonon-les-bains après, vraisemblablement quelques postes intermédiaires.
Irène rencontre un jeune homme d'une bonne famille de notables thononais. Elle devient Madame Pierre CURCHELLAS. C'est un mariage particulièrement heureux. Ils ont plusieurs enfants que je ne connais pas.
A sa retraite Marie s'installe à Thonon dans l'agréable quartier de la place de Crête. Je lui rendrai quelques visites au cours de ma premièe année de collège en 1942. Entre temps elle s'est remariée avec un homme charmant nommé Gustave DELCOURT, un Normand qui adore se promener dans les bois qui bordent la ville de ce côté au pied des plus proches collines. C'est dans ces bosquets qu'il meurt d'une crise cardiaque peu d'années après son remariage.

Marie est décédée en Novembre 1958 et repose à Thonon.

Fait à Boëge le 26 octobre 2010.



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